Live report – Soirée « Tombés pour la France » : Daho fait débat.

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A écouter les commentaires hier à la sortie de Pleyel, à lire ici ou là sur Twitter et Facebook les récriminations de fans en colère, l’ultime soirée de Daho dans le cadre de sa Carte Blanche au festival Days Off était un flop total : massacre (les reprises), foutage de gueule (la programmation), déception (et il est où Daho ?). Bref c’était nul.

On peut discuter des heures de la qualité des interprétations, de l’intérêt de telle ou telle reprise, on a le droit de ne pas aimer mais dissipons un grand malentendu : Tombés Pour La France n’était pas, n’a jamais été un concert de Daho. Pour cela il fallait aller à La Cité de la Musique quelques jours avant pour assister à deux très belles fêtes : un retour en 1986 avec une soirée consacrée à Pop Satori pleine de beaux souvenirs, d’énergie et une salle en délire, et Pop Hits, soirée pleine de classe, de tubes, de chaleur et d’amour dans une Cité de la musique surexcitée.

En comparaison l’accueil réservé hier aux artistes était plutôt glacial. Était-ce la solennité de Pleyel ? La déception montante de voir que Daho ne serait là qu’en pointillé ? L’impression de s’être fait berner ? Une véritable aversion pour certaines interprétations ?

Répétons-le, ce n’était pas un concert de Daho mais la célébration d’une scène musicale française vigoureuse comme jamais depuis longtemps, une scène dont la filiation plus ou moins légitime avec Daho ou ses premières amours (Jacno, Marquis de Sade, …) est pourtant évidente. Une mosaïque, un kaléidoscope bizarroïde de sons, de styles, de voix, de talents, bref une grande famille recomposée, un espace de liberté qui a pu sembler mal assorti à certains mais qui est finalement « So Daho ».

Il y a toujours eu deux faces chez l’auteur de Bleu comme toi. Face A, la tube machine, la pop évidente, cet art incomparable de sortir des mélodies qui deviennent immédiatement des ritournelles familières, cette musique souvent joyeuse, festive, dansante. Face B, l’érudit pop, le passeur, le dénicheur, le défricheur musical, l’esthète, celui qui a travaillé avec William Orbit avant Madonna, celui qui n’a jamais caché son amour pour les grands écarts : le punk new yorkais et la soul, Syd Barret et Françoise Hardy, le Velvet et la variété. Hier c’est la Face B qui était de sortie. Que vous le vouliez où non c’est bien le même artiste.

Mais la moitié de la salle attendant un chapelet de tubes calibrés et disquedorés a donc été prise à froid quand a commencé un étrange défilé d’artistes (parfois peu connus) reprenant à leur guise des chansons de Daho, Jacno ou interprétant leurs propres compositions. Un défilé parfois maladroitement entrecoupé d’interludes musicaux poussés par Lou Lesage et nous replongeant dans l’atmosphère de la fin des 70 en France : Jacno, Taxi Girl, Marquis de Sade, Marie et les Garçons, Stinky Toys.

Pourtant le plateau avait une sacrée gueule : Dominique A, Lescop, Aline, Yan Wagner, François (sans the Atlas Mountains), Patrick Vidal, Lou Doillon, John & Jehn, La Femme, The Pirouettes, Poni, Hoax, Calypso Valois, digne fille de sa mère, Edith Fambuena aux manettes, ne manquant finalement à l’appel que Philippe Pascal et Elli Medeiros malheureusement empêchés, alors que deux absents étaient présents en image et en son toute la soirée : Jacno et Daniel Darc, comme deux parrains tombés trop tôt de cette jeunesse créative et enthousiaste.

Et la soirée nous a réservé de vraies belles surprises et des moments d’anthologie : une secousse tellurique violente et brutale avec une version totalement hallucinée, hantée, crépusculaire de Week-end à Rome par John & Jehn,  une Ballade d’Eddie S. sous amphètes par Poni Hoax, quelque part entre Philippe Katerine et Christopher Walken, le tout emporté par un saxophone aux effluves orientales, un mash-up improbable et électrisant des Pirouettes embarquant à bord de leur Dernier métro une Marcia Baïla déchainée, l’émotion de Calypso Valois, la classe de Dominique A s’appropriant le Je t’aime tant d’Elli & Jacno, Jean Felzine de Mustang désossant le Je t’ai toujours aimée des Polyphonic Size, Aline nous embarquant pour un Tombé pour la France survitaminé, le surprenant Perez et les montagnes russes de Une autre fois, la grâce du duo François/Daho sur les somptueuses Lueurs matinales, la douce et communicative folie de Patrick Vidal et des joyeux drilles de La Femme reprenant avec bonheur Marie et les garçons, la classe martiale de Lescop, bref de belles illuminations, quelque chose comme « Pleyel Satori ».

Alors OK l’ambiance était peut-être morose pour certains. OK des gens sont partis avant la fin.

Et si c’était tout simplement la bête et banale histoire d’une cruelle déception amoureuse et d’une grosse crise de jalousie ? Chaque concert de Daho est un tel don d’amour de la part de ce chanteur généreux, sincère et bienveillant que chaque communiant attend sa dose en échange de son billet comme un junkie en manque pour repartir à la nuit tombée gonflé à bloc et le sourire accroché au cœur. Sauf que là ce n’était pas un concert de Daho. Donc grosse déception. Pire, au lieu de n’être là que pour ses fans, le voilà en train de batifoler gaiement devant leurs yeux noirs avec d’autres plus jeunes, plus beaux, des complices artistiques et amicaux visiblement heureux. Le détournant ainsi de l’adoration du public privé de ses attentions habituelles. « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. » écrivait Pierre Reverdy…

Mais la jalousie c’est moche. Et pas très conforme avec l’esprit de générosité de Daho ou de liberté de ces jeunes gens modernes. Alors ne soyons pas égoïstes ou ingrats, Daho mérite mieux que ça. Beaucoup. Définitivement. Savourons plutôt les plaisirs inattendus qu’il nous offre.

Et la prochaine fois que vous voulez voir un concert de Daho, prenez des places pour un concert de Daho : cela vous évitera toutes ces émotions vilaines et néfastes pour votre humeur.


© Matthieu Dufour