Bicep – Isles.

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Émerger de la torpeur, d’une journée sans saveur particulière, de celles dont on ne se souviendra pas, sortir dans la fraicheur des rues déjà embrumées de la ville en suspens, oublier cette semaine qui vient de s’achever, une de plus, une de moins. Sourire sans s’en rendre compte en pensant à la soirée qui s’annonce, penser à passer prendre quelques bouteilles, quelques paquets de chips, salt and vinegar, penser à envoyer un message à Amélie. Laisser derrière soi la dernière vanne lourdingue de ce collègue à l’humour avarié, débrancher un à un les fils qui nous relient à cet univers qu’il faudrait songer à quitter pour de bon, lâcher prise. Penser à envoyer un message à Amélie. Le faire pour de vrai. Lui dire que son absence est pesante. Qu’il serait si bon de la revoir. Prévenir Cyril. Ou pas. Laisser faire le hasard.

Anonyme au milieu de la foule des badauds, rêver de cet archipel hédoniste que l’on va rejoindre dans quelques heures, entendre les mélopées lointaines de ces iles qui nous appellent. Lever les yeux au ciel pour adresser une supplique discrète, ne se fixer aucune limite, aucune barrière. S’apprêter à naviguer dans les eaux troubles de beats magnétiques et de breaks entêtants, prier encore et toujours pour les divinités analogiques qui règnent sur nos nuits chaque week-end. House is our house. Squatter le garage l’espace d’une danse avant de s’enfoncer dans la jungle sombre et humide, slalomer entre ces corps perdus, step by step, frôler ces mains qui se parlent à la lumière des stroboscopes, nager à perdre haleine, prendre l’eau, se laisser submerger par la vague qui monte, se laisser couler pour mieux remonter. Ne jamais rester en surface trop longtemps.

Alors que nos corps sont contraints, confinés, mous, engoncés, gorgés de désirs inassouvis, qu’ils se trainent sans envie d’un canapé à un écran, alors que nos chairs flétrissent derrière les murs épais de ces immeubles tristes, que nos esprits s’ankylosent et qu’errent nos âmes en peine, le second album des Irlandais de Bicep tombe à pic pour nous rappeler que nous sommes encore envie. Que ces corps ne demandent qu’à bouger au son d’incantations et de ritournelles hypnotiques, que ces chairs sont prête à surfer sur les nappes éthérées de ces morceaux tour à tour langoureux et rêveurs, euphoriques et sensuels. Que ces esprits et ces âmes n’attendent que ça. Comme une délivrance. Délice électro complice et accueillant, Isles ouvre les bras à tous les orphelins de musique partagée, de concerts et de dancefloor. Délice et pourtant supplice. Car tel un Tantale nyctalope, je sais que la porte de ce club qui me tend sa poignée se transformera en mur dès que j’en approcherai.

Mais l’espace d’un instant, ce foutu temps n’est plus borné par des décrets. Il redevient réalité filante pour un moment suspendu, il retrouve sa condition de continuité indéfinie où se succèdent Atlas, Apricots, Saku, Sundial, et leurs comparses de tracklisting, enchainés comme une ronde savante et sexy, comme autant d’appels à espérer que tout cela finira forcément bien un jour, comme autant d’incitations à repousser ses propres limites. Isles invite à la rébellion pacifique, à tout lâcher, là et maintenant. Il nous convie à oublier les consignes mortifères pour plonger dans la douceur urbaine hivernale à la recherche d’émotions pures et de sensations fortes. Il nous dit : « embrassez-vous, enlacez-vous » et appelle à plonger corps et larmes dans une farandole électro qui fera tourner les têtes les plus sages.

Isles, l’appel de la nuit, comme une transe légère, belle et douce, infinie et charnelle.

Comme le goût du plaisir retrouvé.


© Matthieu Dufour


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