Coeur sacré – Un hommage de Frédéric Lo à Daniel Darc

Je n’ai jamais été un grand fan des tributes (trop de déceptions, trop de reprises inutiles, trop de fautes de goût, trop d’embruns marketing).
Un tribute c’est un peu comme ces soirées d’anciens combattants qui se retrouvent à l’enterrement d’un vieux pote ou à l’anniversaire de leur promo pour ressasser des souvenirs magnifiés et des regrets éternels autour d’une mauvaise sangria et d’un bol de Monster Munch. Tu te souviens, tu te rappelles. Ces soirées où toute la bande se réunit comme si les vingt dernières années n’avaient pas existé. Il y a tous ces gens que je n’ai pas spécialement envie de revoir. Je crains les crânes dégarnis, les ventres bedonnants, les anciens punks devenus réacs. Il y a ceux à qui je n’ai jamais trop su quoi dire, ceux que, de toute façon, je vois encore régulièrement, ceux que j’idolâtrais et qui m’ont déçu, et tous ces amours de jeunesse qui auront forcément mal vieillis. La plupart du temps je passe mon chemin, mais j’ai parfois du mal à résister malgré toutes ces appréhensions. On parle quand même de Daniel Darc et de Taxi Girl.
Alors je suis allé vers Cœur sacré. En traînant les pieds, un peu inquiet et me jurant de partir à la moindre alerte ou au moindre signe d’ennui.
Quelques heures plus tard, joyeusement ivre, avachi dans un coin sombre du bar, je chantonne en boucle ces madeleines pop surgies du passé. Elles n’ont pas pris une ride. Un casting façon dream team qui jamais n’écrase l’élégance froide, l’évidence tranchante ou la délicatesse écorchée de chansons souvent essentielles à ma vie d’auditeur au cœur facilement serré. Embrassant trois décennies d’une trajectoire unique, conviant tête d’affiches françaises et icônes internationales, Coeur sacré touche souvent, bouleverse même parfois, idéalement arrangé par un Frédéric Lo qui semble toujours savoir quoi faire, même des morceaux cultes.
Commençant par Coeur sacré, ritournelle inédite et addictive retrouvée au fond d’un disque dur et chantée par Darc lui-même, le disque s’achève par un Jamais, jamais hyper émouvant, hommage chanté de Frédéric à Daniel. Daho propose sa meilleure chanson depuis longtemps avec un Je suis déjà parti qui lorgne du côté du Velvet et qui semble avoir été écrite pour lui. Biolay s’encanaille à nouveau avec Elli Medeiros (Cherchez le garçon). Dominique « je n’ai peur de rien » A s’approprie Les armées de la nuit. Bill Pritchard livre une étincelante version anglaise de Je me souviens, je me rappelle. Loin d’être Inutile et hors d’usage, Doherty enchante encore et Alex Beaupain reprend le Rouge Rose à l’origine de la collaboration Darc-Lo. Et pendant que Lou Doillon impressionne sur What’s the point, Jane Birkin parle de ses amis et les brillants Stupeflip se baladent avec panache dans P.A.R.I.S. Chaque reprise suinte le respect (l’amour ?) et la voix de Daniel Darc vient de temps en temps nous cueillir par surprise au détour d’un refrain. Sommet d’émotion personnelle : le renversant Jean-Jacques Burnel avec une version absolument sublime d’une chanson déjà sublime, La pluie qui tombe.
Il est 5 heures du mat’, je suis toujours à cette soirée où je ne voulais pas aller, et je n’ai aucune envie de rentrer chez moi.
Je vais encore faire la fermeture avec les derniers survivants des armées de la nuit.
© Matthieu Dufour