Barocco – Nesles.

RITOUR’NESLES BAROQUES.
« Dégraisse, déleste dépouille, jette, réinjecte, crache, retire, enlève, recommence, répète, n’attends plus, marche, prend ton carnet, fais claquer la langue vivante, à l’envers, à l’endroit, en tous sens, mêle à la terre la langue, vivante, répète, recommence, aime chaque mot, aime, aime chaque mot jusque dans le sang, jusque sous la peau, aime chaque mot, recommence et répète, comme Beckett, comme Beckett, (…), sois vrai, sois dur, sois vrai comme Beckett ».
En ouvrant son nouvel album par l’intense Beckett, manifeste électro-artistique tout en tension texturée, uppercut imparable, Nesles se livre sans ambages mais avec style et panache. Barocco sera abrasif, intense, organique, onirique, surréaliste, exigeant, anthracite, nocturne. Mais aussi émouvant, intime, mélancolique, complice et parfois même lumineux.
Ses ritour’nesles baroques soufflent le chaud et le froid. Elles ne nous laissent aucun répit. Et surtout jamais indifférents. L’espace de quelques instants de douceur sincère et pure (Blanche, Quelque Chose Brille, Antilopes), elles nous chuchotent à l’oreille comme de vieilles amies toujours là pour accompagner nos insomnies intranquilles d’un souffle chaud et caressant. Mais sous l’écorce entaillée, les entrailles grondent, s’agitent, cherchent la sortie. Viennent alors les expériences, les explorations (Agfa Chromes, Panamerican), les autopsies des amours passées (Anatomie). Entrecoupées d’échappées dans le temps (1976) ou d’escapades euphorisantes (Canon-Fleur).
Embarquer dans Barocco c’est monter à bord d’un grand huit émotionnel. Un voyage captivant dans le monde de Nesles. Un monde peuplé d’animaux qui traversent l’obscurité, une terre recouverte d’une luxuriante végétation. Une nuit blanche sombre d’où émergent les couleurs flamboyantes de fleurs fières et bien décidées à résister encore aux agressions humaines. Un univers singulier et pourtant familier. Où tomber le masque n’est pas considéré comme un aveu de faiblesse. Au contraire. Un monde où l’on apprend à dialoguer avec ses anxiétés. À explorer les contraires et les recoins inconnus.
Disque après disque, l’artiste sculpte une œuvre différente du tout-venant dégueulé chaque jour sur les plateformes de streaming. Attaché à la langue, convaincu qu’avant d’être habillée, une chanson doit pouvoir tenir debout seule, nue, sans artifices, Nesles taille ses morceaux dans l’argile de sa vie avec la patience et la minutie d’un artisan orfèvre. Une fois convaincu (ou presque), il ajoute ça et là quelques textures électrifiées, quelques brisures de matières minérales, quelques bruits inquiétants. Puis il ouvre alors la porte de son atelier et laisse entrer quelques amis (Juliette Plumecocq-Mech, Blaubird et un Dominique A à contre-emploi, parfait) pour que l’histoire soit encore plus belle à partager.
En clôturant son nouvel album par Carquois, cavalcade hypnotique en slow motion, chanson fleuve touchée par la grâce (les chœurs célestes de Blaubird et Gabriela Etoa, mon dieu que c’est beau) dans laquelle on se laisse dériver avec bonheur, Nesles se déleste de tout ce qui précède. Il ouvre une brèche hypersensible dans la muraille d’un monde au bord du gouffre et laisse entrevoir ce quelque chose qui brille « même à la mine ». Il n’oublie pas mais il avance. Parce qu’il ne sait faire que ça. Reprendre son carnet défraîchi, tracer sa route dans les forêts et les steppes, écrire, composer, recommencer, jeter, reprendre, encore et toujours.
Sa « compagnie me suffit ».
© Matthieu Dufour