Septembre 1983 : Flashdance – Adrian Lyne.

Flashdance


Alex Owens, “What a Feeling”, Moroder, les années 80, Michael Sembello et son “Maniac”… Flashdance : un navet nunuche un peu réhabilité grâce à Nanni Moretti.

« Jennifer Beaaaals ? Jennifer Beaaaals ? » éructait Nanni Moretti dans Caro Diario lorsqu’il apercevait soudainement l’actrice de Flashdance en train de flâner avec son époux Alexandre Rockwell dans les rues de Rome. Le cinéaste, avec provocation et humour, y affirmait auparavant que Flashdance avait changé sa vie : « in realtà il mio sogno è sempre stato quello di saper ballare bene » (« dans mes rêves j’ai toujours voulu savoir bien danser »). Et comme Moretti était l’un de nos cinéastes fétiches, et que cette séquence de Caro Diario, en 94, s’incrustait durablement dans nos esprits (jusqu’à ne plus pouvoir prononcer « Jennifer Beals » sans un accent italien involontaire), Flashdance, le nanar d’Adrian Lyne, en 83 LE film préféré des grandes sœurs, finit par nous évoquer, de façon pas si désagréable, l’époque Mondino / Mitsouko / Germaine et les martiens Lustucru. Jusqu’à se dégoter le film en DVD et le joindre à notre collection, avec mea culpa.

Sacré Nanni : à cause de lui, toute une génération qui crachait judicieusement sur le cinéma-clip, revit Flashdance et jugea le film tellement démodé que… touchant. Enfin, presque (n’exagérons pas).

Un mot sur Adrian Lyne, quand même. Cinéaste issu de l’école anglaise, comme Alan Parker et Hugh Hudson, dont le règne éphémère ne put survivre aux années 90, Lyne, à l’instar de ses comparses, détenait des velléités esthétiques (clip / pub) au service de scénarii moraux, puritains, voire manichéens. Un cinéma volontairement commercial mais dont le propos, heureusement de gauche, se résumait en une ligne : le danger du Sida (l’affreux Liaison fatale), la drogue détruit la jeunesse (Foxes), le patriarcat domine (9 semaines ½)… Aucun problème sur ces intentions. Encore fallait-il savoir les traiter avec finesse et ne pas en faire un banal argument pour vendre de la soupe commerciale.

Flashdance est un peu différent de Liaison fatale ou Proposition indécente car il s’agissait d’un archétype formaté par des producteurs (Don Simpson et Jerry Bruckheimer) qui cherchaient un cinéaste vierge pour mieux vampiriser son visuel et lui promettre gloire en retour (également vrai dans le cas de Tony Scott, qui passait de The Hunger à Top Gun pour le même duo fric). La petite histoire raconte que Simpson & Bruckheimer offrirent d’abord le script de Flashdance à… Brian De Palma ! Le cinéaste de Phantom of the Paradise, qui ne voulait pas tourner un scénario aussi débile, exigea une somme d’argent tellement astronomique que les deux Rapetou partirent chercher une brebis docile (De Palma, à la place, s’en remit à Scarface pour des raisons plus personnelles). D’où Adrian Lyne, dont le premier film, assez mauvais Foxes (avec une Jodie Foster qui cherchait l’après Taxi Driver), ressemblait à un CV commercial…

Scarface et Flashdance possèdent néanmoins un schéma similaire : l’inconnu.e qui rêve de gloire, et par sa propre détermination réussit à s’élever jusqu’à tutoyer les étoiles. Sauf que chez De Palma, tout passe par la violence, la trahison, le meurtre, l’immoralité. Jusqu’à l’écroulement du Roi (Richard III, référence explicite). Flashdance, hum, c’est beaucoup moins shakespearien : confiance en soi, individualisme, travail forcené, puis victoire du « je » sur un monde « corrompu ». Scarface montrait l’effondrement d’un royaliste qui se voulait plus malin que la vitesse de l’argent. Flashdance est un film sur une jeune femme qui cherche à rejoindre le grand capital.

Alex (Jennifer Beals, excellente), comme toutes ses copines dans le film, veut quitter sa zone prolétaire pour gravir les échelons et dominer la faune masculine qui l’entoure. Elle ressemble à la Kelly McGillis de Top Gun (autre production Simpson & Bruckheimer, qui s’adressait, trois ans plus tard, aux garçons frimeurs) : s’habiller en mec pour instaurer une supériorité, du moins une égalité, avec les machos, les dragueurs et les profiteurs sous testostérone. Alexandra se masculinise en Alex, tout comme Charlotte (dans Top Gun) s’imposait en tant que Charlie.

Cette fausse masculinité (les scénaristes, au cas où, font dire à Alex, gratuitement, qu’elle pense beaucoup au sexe) n’est qu’une façon d’amadouer les adolescentes d’alors, qui y voyaient un double féminin en plus fort (Alex travaille sur un chantier, elle refuse les avances des hommes – sauf du Prince Charmant, gentil, mignon –, elle doute un peu mais se reprend très vite). Schéma identique à la personnification de Maverick dans Top Gun : féminiser (un peu) l’archétype du beau mâle pour permettre au public adolescent d’échapper au complexe d’infériorité. Démarche très malhonnête car ouvertement manipulatrice.

Adrian Lyne, simple mercenaire, ne se foule pas trop question mise en scène. À la revoyure, il est ahurissant de constater qu’une grande majorité des plans ou des séquences de Flashdance sont ratés ou bâclés, uniquement pour des raisons techniques : travellings hésitants, timing ou bien trop long ou trop court, mouvements de caméra incongrus qui dévoilent le désarroi d’un metteur en scène totalement paumé, espaces vides que le chef opérateur cherche à sauver par une lumière exagérément manipulatrice…

C’est que Lyne n’est engagé que pour filmer des scènes musicales. Le reste (personnages, psychologie, péripéties) n’a jamais besoin d’outrepasser la mièvrerie baveuse d’un roman-photo pour jeunes filles boutonneuses. Et sur la question musicale, Adrian Lyne, effectivement, aurait été un bon vidéo-clippeur durant les années 80. Un as du clip dont les travaux se reverraient aujourd’hui (comme ceux de Russel Mulcahy et Steve Barron) avec nostalgie. Sauf que Lyne, abus de prétention, a fait du cinéma. Grave erreur.

Dans Flashdance, les numéros musicaux sont tellement nombreux et gratuits qu’ils font oublier le maigre canevas scénaristique du film. Or, Flashdance n’est pas une comédie musicale. Vincent Ostria, dans Les Cahiers du cinéma d’octobre 83 (n° 352), écrivait, à propos du film, que « si faire une comédie musicale consiste à passer des disques en son dolby, dont certains à deux reprises (…) ou d’autres qui sont d’anciens tubes déjà amortis dans les discothèques (…), alors Flashdance est une  “comédie musicale” ! ».

Problème majeur : il n’y a aucun aboutissant dans les séquences musicales de Flashdance. Elles ne dévoilent rien sur Alex, ne permettent jamais à l’action d’évoluer ou de rebondir. Elles sont de simples pauses qu’Adrian Lyne transforme en morceaux de bravoure gratuits. D’où cette sensation d’un clip transformé en film (ou l’inverse). 

Flashdance n’est qu’une maigrelette histoire qui s’intercale entre deux prouesses clip. C’était, banalement, le pire du cinéma 80’s. Sauf que : « Jennifer Beaaaals » ! Nanni Moretti, par son enthousiasme, acclamait beaucoup moins le film que son actrice principale. Et si l’on revoit aujourd’hui ce navet, c’est uniquement car Jennifer Beals, oui, possédait un truc, une présence, le talent d’une grande. Pour le reste…


© Jean Thooris


 

 

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