Benjamin Biolay – La Maroquinerie – 1er avril 2024.

Je trébuche sur le trottoir qui m’éloigne de La Maroquinerie, évitant de peu la chute, titubant, sonné, perdu, shooté, euphorique, mélancolique, heureux, un peu tout à la fois, drôle de cocktail, drôlement agréable.

Un franc sourire accroché aux lèvres, les yeux humides, les bras tremblants, je croise d’autres sourires béats, des pupilles dilatées, des amants qui flânent, on se croirait à la sortie d’un concert de Daho, ça sent l’amour et la surdose de sérotonine.

Des corps se frôlent, se souviennent d’une station Texaco ou d’une soirée à Lyon Presqu’ile, des bras se serrent avant de regagner leurs jardins d’hiver ou la chaleur d’une cheminée crépitante. Des cœurs gorgés d’envie s’étreignent sur la banquette arrière d’une Merco Benz, des promesses d’amour à Roma s’échangent, les plus croyants remercient Sainte Rita. Chacun trace sa route, l’âme un peu plus légère que trois heures plus tôt. Mon amour hélas, le temps passe.

Pas la peine de demander comment est leur peine, ce soir elle s’en est allée, loin très loin. Pas la peine de leur demander de rendre l’amour, ils garderont tout au fond d’eux le souvenir de cette soirée folle qu’ils raconteront avec nostalgie dans quelques années, heureux de pouvoir dire « j’y étais, oui, j’y étais ».

Certains attendront l’heure bleue avant d’aller enfin dormir, des cerfs-volants dans les yeux, d’autres rejoindront le parc fermé, peut-être même qu’ils monteront à bord d’une voiture volée. « Miss Miss », « Petit chat », les petits noms affectueux seront chuchotés sans honte sur des quais de métro ou sous des parasols plantés dans le sol il y a longtemps.

Dernière date après tant de dates, fin de la route, fin de tournée, premier avril, ce n’est pas une blague, c’est bientôt la fin, alors ils en profitent. Un groupe au-delà de l’unisson, liberté de circulation totale de l’énergie, derniers spasmes avant le post-partum, une set list qui s’allonge, qui prend des chemins de traverses, des routes secondaires, des itinéraires bis, qui revient en arrière, change de direction sans prévenir avant de retrouver l’autoroute des succès évidents.

Un embouteillage de tubes imparables, des vieux, des récents, des joyeux, des plus calmes, sublimés par l’incroyable énergie d’un gang en feu et d’un artiste visiblement ému, touché et porté par l’amour et les chants qui montent de cette salle transformée en club moite, en bateau ivre de plaisir, en arène joyeuse.

Quelle aventure, quelle aventure…

La superbe et la promesse de lendemains qui chantent.

De la beauté là où il n’y en a plus beaucoup.

Son héritage.

Fou.

Doucement fou, joliment fou, délicatement fou, généreusement fou, tranquillement fou, calmement fou, gentiment fou, positivement fou, sincèrement fou.

Mais bien fou.

Ça fait un bien fou.

Merci.


© Matthieu Dufour