La mémoire des disques – Daho – Live ED.


Lumineux, parfois quasi-hystérique, plein de promesses, chargé d’une incroyable énergie, ce live incandescent est porté par les tubes des 4 premiers albums studio du Rennais et quelques pépites en guise de cerises – à l’eau-de-vie – sur le gâteau (la ballade d’edie s, femme fatale, …), un disque que j’ai longtemps surnommé Live EX (vous comprendrez dans une dizaine de lignes).

Pour nos vies martiennes ayant déjà été traité ici je ne reviens pas sur l’histoire, ces histoires de ruptures noyées dans les larmes et le gin, de ces atermoiements nimbés de fumée de Peter Stuyvesant dans la moiteur des nuits espagnoles. Mais lorsque cet album live sort, les plaies ne sont pas encore toutes pansées. On ne se remet jamais vraiment d’un premier véritable amour. Le (presque) seul qui compte. La matrice. Le premier shoot. Surtout lorsqu’on l’a proprement saboté, saccagé, avec tout le talent et l’abnégation dont on est capable. Alors oui, quand je mets la main sur ce disque lors d’une permission à Paris (pour les plus jeunes d’entre vous, une permission est une sorte de respiration civile, quelques jours généreusement accordés par l’armée pendant (feu) le Service Militaire), les stay with me (stay with me, stay with me, stay with me iiiiii), quelqu’un qui me ressemble (« plus de comptes à rendre, ailleurs se méprendre, même ailleurs s’éprendre, s’en défendre »), bleu comme toi (et cet infiniment bleu, que j’trouvais dans ses yeux) et autres affaires classées (« pourquoi t’as plus d’charme, plus d’mystère ?« ) me précipitent à nouveau dans mes propres failles (« mais tu r’viens« ). Ces dernières étant nettement plus semblables à la fosse des Mariannes qu’à une gentille crevasse planquée au coin d’un glacier alpin.

C’est le moment de préciser que le Tour Martien dont est tiré ce live, s’était quelques mois auparavant arrêté au Zénith où je l’avais revue malgré notre séparation (que celui qui ne s’est jamais retrouvé à un concert avec une ex à cause de billets achetés longtemps à l’avance me jette le premier billet). Regards en coin, frôlements de mains et de hanches, amis moyennement à l’aise, yeux embués, silences gênés, bref la totale. Tu as beau t’être promis il y a quelques années de vivre sans remords ni regrets, de tracer ta route sans regarder dans le rétro, c’est comme cette histoire de mourir avant l’âge christique : la plupart d’entre nous se dégonfle en moins de temps qu’il n’en faut à Daho pour remplir un Olympia.

Le disque est donc rapidement entré dans la catégorie de ceux que j’écoutais en boucle, usant sans modération des touches rewind ou fast forward de mon lecteur CD portable, assis comme une âme en peine par terre dans ma chambre ou dans le train de nuit qui m’arrachait de Paris le dimanche soir pour m’emmener à Gap. Je bouclais sur le grand sommeil, et je bouclais sur mythomane, et je bouclais sur quatre hivers, et je bouclais sur tombé pour la France, des heures hindoues, sur tout le disque en fait.

Remontaient alors à la surface et en vrac : ce premier baiser, si longuement attendu, cette séance de ciné improvisée à côté du Drugstore Publicis (Barry Lyndon), cette impression de braver un interdit, cette balade au Parc Monceau, ce déjeuner chez Sonia, sa beauté naturelle, mes départs penauds, mes retours alcoolisés, ces vaines tentatives d’exprimer des sentiments inconnus, la pénombre du 19 avenue de Villiers, le RDC de la rue des Jacobins, F, P et les autres, le plaisir de (me) perdre, ces sublimes portraits NB pris par celui d’avant, ces lettres manuscrites qui traduisaient déjà ma préférence pour l’écrit et ma fébrilité pour l’oral. Et je me demandais combien de temps cela durerait. Toutes ces réminiscences. Toutes ces images.

La puissance d’évocation, la force mémorielle des chansons ne manquera jamais de m’étonner ni de m’émouvoir. Et je me demandais si un jour, plus tard, je pourrai écouter ce disque uniquement pour ce qu’il est : un super disque live rempli de ritournelles éternelles et sensuelles. La réponse était toujours la même : probablement jamais tant les chansons de Daho ont toujours été bien plus que des chansons. Des morceaux de vie passés mais jamais oubliés. De douces promesses parfois trahies. Des signes et des mots sur le sable humide de nos cœurs gravés. De la trempe de ceux qui ne s’effacent pas. Une drogue aussi dure que la passion. Accoutumance immédiate et sevrage risqué. Mais heureusement, pas vraiment de risque d’overd(ah)ose.

« À nos amours » !


© Matthieu Dufour