On a retrouvé Mark Hollis (by Guillaume Mazel).

© Leigh Johnson
– Il était là, tout recroquevillé mon sergent, enfoui entre deux vieux tapis, c’est moi qui l’ai trouvé !
– On trouve toujours quelqu’un de perdu dans le souk de Fès, ce n’est pas une grande nouvelle, c’est banal.
– Mais c’est Mark Hollis, Mohamed, c’est Mark Hollis, chouf Mohamed c’est Mark Hollis !!!!
– Et qui c’est Mark Hollis, un roi, un richard, le fils de Mahomet ?
– Je ne sais pas sergent, mais il m’a dit « je suis Mark Hollis », et ça m’a paru très important.
– Il a une tête de rat, non ?
– Ben il dit qu’il a 62 ans et qu’il est anglais.
– Oui, bof, avec un nom pareil, il n’est pas de chez nous, ce qui m’inquiète, c’est qu’il a une tronche d’adolescent boutonneux, 62 ans, j’y crois pas. Quoi qu’un type blanc quasi transparent avec un bonnet de laine et des mitaines en plein marché marocain d’août, ça a de quoi nous tenir inquiet un bon moment, prenons-le au commissariat de Rabat.
L’être d’entre deux tapis avait en effet tout de l’ado timide, frissonnant comme si on lui avait volé un baiser et ne s’en était rendu compte que quelques années plus tard, des cheveux lisses et dépeignés s’échappaient du bonnet rouge de grosse laine, il avait un don inné pour cacher son menton dans son cou et son cou dans son dos. Une grosse veste de flanelle noire donnait un semblant de volume à son corps mais servait en fait de lest pour le manque de chair qui le muait en air. Le long du chemin il ne dit mots, l’oreille écoutant les clarinettes et rythmes tribaux, et poussant parfois des gémissements presque chantés, comme des douleurs d’ovaires, comme des plaintes d’hérétique au bucher. Un bref sourire éclaira son visage comme une scène de Shining, un brin de folie violente qui s’étouffa dans un nerveux tic de la nuque. En aucun moment il ne résista aux ordres d’accents orientaux, ne sachant de toute manière, aucun vocable de ce dialecte nord-africain. Il fut bien traité, bu, mangea, nettoyage et vidange, et finalement se coucha dans la cellule 34 du commissariat de Rabat, vêtu d’un ridicule pantalon court dont les rayures semblaient prolonger l’épaisseur de ses tibias, d’une vieille chemise orange où un éléphant hindou essayait de survivre malgré sa couleur rouge éteinte en gesticulant de ses huit bras. Il avait demandé des papillons, voila le pachyderme.
On trouva alors un traducteur au hasard dans la rue adjacente, nommé Rêda Allali, bien connu des policiers du coin pour dire non a tout, même au gros lot annuel, un rebelle de lui-même quoi, mais un rebelle « With studies » et un anglais impeccable du point de vue tchèque.
Il fut inutile, Hollis ne dit mot, s’enfouissant dans son pardessus épais, en chien de fusil sur le lit pliant de sa petite cellule, il s’endormi dans des rêves tordus comme des affiches seventies entre Hendricks et Népal.
A l’étage au-dessus, dans un petit bureau mal peint mais armé d’un bonne climatisation, dont la modernité faisait un contraste cruel avec les posters et tapis arabes, les deux aimables agents de l’ordre faisaient un compte rendu des faits et gestes à leur supérieur, un joufflu petit homme dont la seule intelligence semblait résider au port de lunettes et à une dizaine de plumes posées sur le bureau autour d’un encrier vide, témoin abandonné des anciens locataires.
– Comment ça s’écrit Marc Hauliss ? Ne me dites pas que vous n’avez pas encore cherché en Google, merde alors, je suis entouré d’inutiles a la fin, si un jour on a la chance d’avoir un bon gros cas de meurtre en série, qu’est ce que vous ferez, suivre la série a la télé ?
– On n’a pas eu le temps, et puis les ordinateurs, il n’ y a qu’a homicides qu’ils en ont, et puis vous chef, on sait que vous aimez bien les ordis, vous y êtes toute la journée, Khaled dit que vous y êtes aussi la nuit, même sans lumière, comme un pro.
– Oui bon… enfin, voyons voir qui c’est ce Mar Kholisse, il avait des papiers sur lui ?
– On a trouvé des partitions et des droits d’auteurs, des emballages de Carambar avec des énigmes, des Kleenex et des timbres avec la tête de la reine d’Angleterre, mais on ne sait pas laquelle.
– Et, il était armé ?
– Un Opinel tout petit, de ceux qui ont le manche de couleur, Farid l’a gardé.
– Mohamed, t’es une balance.
– Du calme, je sais au moins qu’il n’est pas venu en avion…
Les deux hommes restèrent tout hébétés et surpris.
– Logique, par les temps qui courent, prendre un avion vers les états arabes avec un canif, c’est impossible même pour Houdini, et puis il provient sans doute du sud de France, là où se fabriquent ces couteaux à cèpes.
– En bateau non, chef, impossible !
– Et pourquoi ?
– Ben on a traversé un ruisseau en venant et il a eu des nausées.
– Mais il n’est pas arrivé avec des ailes de cire quand même
– C’est peut être un super-héros ?
– T’es con Farid, mais qu’est-ce que t’es con !
– Silence, grommela le chef, tout en ouvrant son ordinateur comme l’on ouvrirait la cave d’Ali-Baba.
Il tapota un moment, râlant souvent, dans la recherche frénétique de l’orthographe parfaite du nom. Au bout d’une demi-heure sans succès…
– Chef, chef…
– Quoi ?
– Ben son nom…
– Quoi ?
– Il est sur le papier des droits d’auteurs.
– Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ?
– Ben je croyais que vous écriviez à votre femme, vous râlez toujours quand vous lui écrivez.
– Voila pourquoi je suis chef et pourquoi tu ne le seras jamais, Farid, l’art de la déduction, passe-moi ces papiers.
M.A.R.K H.O.L.L.I.S
…
Wikipedia :
Mark David Hollis (né le 4 janvier 1955, à Londres) est un compositeur, chanteur et musicien britannique, connu pour avoir d’abord officié en tant que chanteur et compositeur au sein du groupe Talk Talk de février 1982 (sortie du single Mirror Man) à octobre 1991 (sortie du single New Grass) avant d’entreprendre une carrière solo avec la sortie, en janvier 1998, d’un album : Mark Hollis (Polydor). Lui et son groupe s’inscrivaient dans la vague new wave ou pop à leurs débuts, avant de s’en éloigner petit à petit au profit d’une musique plus épurée parfois qualifiée de post-rock ou d’expérimentale. Disparu sans nouvelles en 2000, certains témoignages tendent à parler d’une possible abduction interstellaire au début de Janvier alors qu’il cueillait des cèpes dans le haut-Tarn.
– La photo, chouf, la photo, c’est lui, c’est lui, mais il y a vingt ans… Il est pareil, il… Il n’a pas vieilli !!!
– C’est de la sorcellerie, il faut le lâcher, il faut qu’il parte, par Mahomet, ce n’est pas bon, non, non.
– Ce n’est pas de la sorcellerie, calmons-nous, nous avons devant nous la preuve vivante de l’existence des ovnis, nous avons gagné le gros lot… je veux dire, j’ai gagné le gros lot.
Se levant d’un bon, bien que sa petitesse le laisse plus bas qu’assis, il s’anima soudain, les yeux brillants et, mettant au pas ses cerfs, il se dirigea a toute allure aux cellules inférieures, l’envie brulante d’interviewer en premier à ce Mark Hollis si déconcertant, et de savoir l’ampleur du trésor.
Mark dormait en chantonnant plus qu’en ronflant, des sons hachés comme une timide et enrhumée Jane Birkin, un chien blessé dont la fatigue tue la voix. Son somme fut rudement bouleversé par le son grinçant de la porte qui s’ouvrait, et puis la réalité fut violente, dans le coup dur que porta l’incandescence du tungstène dans sa rétine.
– Cher, très cher Mark, je peux vous tutoyer, hein, cher Mark ? dit le chef dans un anglais digne du meilleur traducteur portugais. Bien, d’abord vous exprimer toute ma désolation pour le traitement que vous ont fait subir mes subalternes, vous demander pardon de leur part et vous offrir un thé.
– Je n’aime pas le thé, je veux du lait.
Il va être chiant celui-là, pensa le petit chef.
– Bien, soit, du lait, j’ai des questions… de routine…disons, a vous poser, si cela ne vous dérange pas.
– Je dormais là, il y avait des papillons partout, il faisait bon, ça sentait la campagne autour de Scarborough, il y avait un canard peint qui jouait de la trompette.
Il va vraiment être chiant.
– Oui, encore pardon, mais c’est que le décalage horaire doit vous avoir bousculé, ici, c’est une heure typique pour les interrogat… les questions. En parlant du décalage horaire, d’où venez-vous?
Mark tordit son cou et fixa son regard sur l’ampoule, offrant un regard Jack Nicholson saoul. Souriant il signala du doigt la lumière.
– De par là…
Un soupir, proche du souffle d’une locomotive, sorti de la bouche du chef et dessina des crevasses sur les murs. Le chef nerveux posa devant le vieil adolescent son portrait d’il y a vingt ans. Hollis passa ses doigts sur la photo, le long du menton, une légère joie emplie son visage.
– Moi, avant eux, c’est moi.
– Avant qui ?
– Vous voulez vraiment savoir ?
– Faudra bien expliquer nos salaires auprès du peuple.
– Farid et moi on a l’habitude des heures sup.
– Je voulais me retirer des scènes, une fatigue, peut être blasé par le succès, je voulais arrêter, ma tête jouait du jazz et mes mains du rock, je me déchirais, alors j’ai voulu disparaitre, je suis parti dans le sud de France, parce que le sud n’avait rien à voir avec moi. Étrangement je captais des sons des murs, des tissus, des herbes, une malédiction et créais des symphonies sans presque m’en rendre compte, ma tête explosait en solfèges, ma bouche se gerçait en paroles, le sud n’était pas suffisant. Alors j’ai voulu disparaitre plus encore, mais je n’ai eu la force de me quitter, je m’enfermais alors dans mon passé, dans mes Renée et mes printemps colorés, autiste de moi. J’appris à taire ma vie. Un jour, dans un épais bois, alors que j’hallucinais sur mes champignons, une lumière bleue claire se posa sur mon épaule, sa piqure soudaine me figea sur place, une lumière dorée vint alors sur mon front, et ma lourdeur s’évanouissait d’un coup, et je flottais jusqu’à un disque 33 tours qui me survolait, et me fusionnait dans un de ses sillons. Sur un sillon parallèle je voyais fondu d’autres chanteurs usés, leurs visages respiraient la paix, leurs visages respiraient la peur. J’ai dormi au creux d’un disque trop d’années, parfois on venait prendre dans mon âme des bribes de chansons pour tenter des best-of de moi, puis de tant d’autres, d’une époque, d’un temps, pour toute raison, pour n’importe quelle fête, on m’arrachait la mémoire. Je restais pourtant vif, soucieux de préserver ma vie au-delà du chant, soucieux de redevenir un jour un banal humain. Et puis il y a trois jours, je composais au piano un titre expérimental, des cris s’élevèrent de partout, mes voisins one hit wonder s’arrachèrent les oreilles, ils vinrent alors, enfin visibles, titubants et comme ivres.
– Qui, qui furent-ils ?
Un silence s’en suivi.
– Chef !
– Quoi Mohamed ?
– Chef, il s’est endormi…
– Mais c’est quoi ce type, une loque, il s’endort quand l’histoire devient intéressante, il n’est pas bien ce sahib ?
– Peut être justement qu’il est malade, il y a des types qui s’endorment sans le vouloir, j’ai vu un documentaire sur ça.
– Oui, il y en a qui se rendent pas compte qu’ils sont réveillés comme toi Farid.
Ils prirent le temps d’aller aux WC, de faire provision de thé et d’étouffe-chrétien, comme si d’une pause publicitaire il s’agissait. Quand ils reprirent leur place, le film avait déjà repris.
– Ils étaient à la fois allongés et gros, la peau bronzée et vêtus de costards et d’or, de leurs poches émanaient des papiers qui suppliaient des signatures et se vendaient comme autographes. Ils me parlèrent de leur terre, nommée Messénie, me parlèrent de ventes et d’événements dans un langage qui m’alourdissait. Leur colère était flagrante, ma composition semblait avoir affaiblie leurs armes. Quand je compris cette faiblesse, je découvrais la possibilité d’une fuite, je me mis à triturer tout ce qui semblait musique, sans normes, sans ères, sans sentiments, le capharnaüm, le chaos, l’impossible écoute, la décadence de l’ouïe. Leurs costumes se fissuraient, leurs papiers se mouillaient, leurs hauteurs s’affaissaient, leurs auteurs échappaient. C’est au moment où ils essayaient d’enlever Cheb Khaled pour redorer leurs blasons après mon manque de succès, que je profitais de leur désintérêt et me laissais choir comme un vulgaire chanteur de métro dans ces moelleux tapis où vous m’avez trouvé.
– Quelle histoire, hein?
– Est-ce que tout est enregistré Mohamed? Il ne faudrait pas perdre cette opportunité de nous faire riche, nous sommes les premiers à avoir une preuve vivante de l’existence d’autres vies.
– Détrompez-vous !
– Comment, ton récit n’offre aucun doute, et le fait que tu n’aies pas vieilli est indiscutable
– Ici vous trouverez peut être cela irréel, mais du coté de chez moi, cela n’a rien d’irrationnel ou surnaturel, chez moi, on appelle cela marketing, économie ou encore, business, on ne se fait pas riche en les montrant du doigt, vous n’avez aujourd’hui, rien de plus ni de moins qu’avant. Allez vous coucher, rêvez, chantez sous la douche, faites des canards, faites des couacs, sauvez-vous des hits, et puis laissez-moi dormir.
Le lendemain, Farid fut à donner le déjeuner à Mark Hollis, mais le disparu retrouvé, s’était évanoui dans l’air d’une chanson.
© Guillaume Mazel
Alors quoi ? N’entendrons nous plus
jamais cette voix suave dans des musiques compréhensibles ?
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RIP
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C’est quoi ce récital de merdier!!!! El mazel!!! le respect toi pas connaître, la débilité, oui!!!!
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Merci pour ce commentaire.
Ce texte est une fiction imaginée par l’auteur bien avant le décès de Mark Hollis et je ne vois pas en quoi il lui manquerait de respect. Quand à la notion de débilité c’est évidemment très subjectif et de nombreux lecteurs de ce texte ne partagent pas votre avis.
Bonne journée.
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Savez vous où repose Mr Mark Hollis ? Je souhaiterais me recueillir sur sa tombe..
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