Mes disques cultes – Benjamin Biolay – Trash Yéyé.
Bien avant qu’on se soit connu (…), je savais déjà que je t’en voudrais
Longtemps je suis parti le premier. Avant de me lasser, de ne plus avoir envie, avant de me faire jeter, pour une autre, grâce à une autre. Sans évidemment me soucier de ce qui pouvait bien se passer derrière moi. Puis un jour j’ai compris. Il suffit d’une fois. Elle est partie. Je ne l’avais pas vu venir. Et bien sûr j’en ai chié. Sérieusement. Perdu, hagard, balançant entre idées sombres et espoirs infantiles, je tentais tant bien que mal de surnager à la surface d’une mer houleuse, celle de mes larmes, les larmes de mon auto-apitoiement puéril et pathétique. Déchiré entre réactions haineuses et pensées romantiques, j’ai comme tout le monde erré comme un fantôme coincé dans une autre dimension. En bon judéo-chrétien, j’ai su que j’allais payer pour ces années de ruptures lâches et foireuses. Et que je n’avais pas les moyens de régler l’addition. Je me suis alors réfugié dans mes classiques, Daho et Morrissey en tête. Et l’alcool. Évidemment ça a fini par passer. Plus ou moins. Enfin adulte, j’allais prendre ma vie en main et apprendre de mes erreurs. Enfin je le croyais.
Puis Trash Yéyé est arrivé en 2007. Quelques années après, tout est remonté à la surface : la douleur, les envies de meurtre, les insultes les plus pathétiques, les insomnies, l’hébétude, les beaux souvenirs, les frissons, et tout le reste. Quelqu’un arrivait enfin à mettre les mots, TOUS les mots, sur cet état étrange dans lequel on se retrouve souvent après une rupture. Et pas seulement sur une chanson mais sur un album entier ! Deux phrases parmi tant d’autres résument cette réussite : « Bien avant qu’on s’aime, tu ne m’aimais plus » et « C’est douloureux dedans, c’est délicieux pourtant ». Avec une évidente simplicité, tout est dit, l’inéluctabilité, la fin avant le début, le plaisir masochiste de la souffrance amoureuse, la beauté du geste, la supériorité de quelques secondes de jouissance (ou, soyons fous, de bonheur) à toutes ces heures merdiques à s’en vouloir, à souffrir, à détester, à agonir (« Plutôt crever que de mourir, sans de beaux souvenirs »).
Douze ans après, tenter de chroniquer ce « concept-album » monumental me semble impossible. Impossible techniquement pour l’amateur limité que je suis de rendre compte de sa beauté sulfureuse, de sa singularité loin de cette vilaine « nouvelle chanson française » à laquelle on a voulu le rattacher. Loin aussi, me semble-t-il, d’une filiation gainsbourienne bien trop réductrice, bien trop simpliste. Compliqué mentalement de me replonger pour l’analyser dans cet univers qui alterne le bouillant et le glacé, l’élégance et la trivialité, la légèreté et la profondeur. Je crois que si c’est album est si réussi, si fort (si parfait ?), c’est qu’il concentre en 12 titres toute la perversité paradoxale d’une histoire d’amour qui s’achève, toute la complexité de l’état mental et physique dans lequel cette rupture nous plonge. Une sorte de nuancier Pantone de l’état amoureux Finalement, Biolay parvient à rendre compte de l’énorme bordel qui percute votre quotidien à ce moment-là. Cet énorme « n’importe quoi » qui bouillonne à l’intérieur, nous faisant passer d’une minute à l’autre d’un état végétatif proche du coma profond, à des pulsions régénératrices d’une violence insoupçonnée, d’une euphorie légère et printanière à une sérieuse envie d’en finir. Avec les autres. Avec la douleur. Avec la dépendance.
« Mon cœur je te piste à la trace, le bonheur me pisse à la face »
Dans Trash Yéyé, Biolay s’autorise tout ce que nous nous refusons parfois, par éducation, par pudeur, par honte : insulter l’être aimé avant de lui déclarer sa flamme dans un grand élan poétique, alterner menaces et flatteries, désir et rejet, mettre ses failles sur la table, s’avouer lâche et trouillard. Il nous venge, il ose se comporter comme une merde, il assume ses bas-instincts. Tout en restant romantique et obsédé par la chair, naïf et lucide, léger et amoureux. Il le fait surtout avec talent et panache (que certains assimileront à de la prétention, tant pis pour les rageux), mélangeant les genres musicaux et les instruments avec une folle dextérité et un savoir-faire à l’ancienne qui le distingue une fois de plus du mainstream commun (sans parler de la qualité des arrangements).
Fouillant dans nos tripes, il ose des alliances sémantiques a priori incompatibles et arrive à peindre avec une justesse incroyable et une émotion intense les contradictions incessantes qui se bousculent en nous dans ces moments troubles. Ramper pour quémander une dernière fois, un dernier regard (même de pitié), une dernière caresse (même avec du papier de verre), avant de vouloir frapper violemment avec une véritable envie de faire mal. Chialer comme un gosse avant de se réjouir de cette soudaine liberté. Se remémorer les premières nuits et tous ses défauts. Faisant une nouvelle fois étalage de ses grands talents d’auteur, Biolay enchaine les tours de force (Qu’est-ce que ça peut faire, Dans ta bouche, …) et relègue la concurrence loin derrière.
« Rendez-vous près du tout à l’égout, ne portez rien dessous, c’est pas la peine de faire comme si c’était bien… »
Alternant tubes évidents (Dans la Merco Benz, Qu’est-ce que ça peut faire, Regarder la lumière, …), sommets bouleversants (Dans ta bouche, Douloureux dedans, La chambre d’amis …) et titres d’une folle élégance (Cactus Concerto, Laisse aboyer les chiens, …), l’album ne présente pas de faiblesses.
OVNI polymorphe, Trash Yéyé est un tourbillon émotionnel d’une force évidente, qui peut s’avaler d’un trait comme une succession de shots de Tequila ou de Gin ou s’écouter dans un état second un doux matin de printemps. Disque de désamour et donc forcément d’amour parce qu’on le vaut bien et qu’on ne sait pas faire autrement. Un classique à la fois brûlant et touchant, acide et apaisant. Et surtout un véritable ami. Tordu mais sincère, dur mais bienveillant, fidèle et lucide.
Longtemps je suis parti le premier. Avant de me lasser, de ne plus avoir envie, avant de me faire jeter, pour une autre, grâce à une autre. Sans évidemment me soucier de ce qui pouvait bien se passer derrière moi. Puis un jour j’ai compris. Puis j’ai recommencé. Aujourd’hui, moi aussi, je me demande ce que ça peut faire « qu’il y ait ses stations balnéaires dans mon verre à pied »…
© Matthieu Dufour
Où que tu sois
En salle au bar ou en terrasse
Le salopard que tu as terrassé
Sera juste en face
A bien te fixer
Mon amour
Fais abstraction du forcené
Par l’attraction encore sonnée
Par ses pulsions désarçonné
Par ses pensées
Quoi que tu fasses
Mon coeur je te piste à la trace
Le bonheur me pisse à la face
Je bois la tasse
C’est dégueulasse
Où que tu sois
Que les beaux jours reviennent ou non
Que tu partes faire la saison
En la compagnie de ce fort joli garçon
Mon amour je voudrais t’agrandir
Mon amour je pourrais tout subir
Dans ta bouche
Qui que tu baises
Des bimbos ou de grands balèzes
Des dildos ou des pieds de chaises
En trio ou sur les falaises
Une femme obèse
Je serai là
A jardin à cour sur la scène
A Hézincourt sur la FM
Dans le four de ta pizza reine
A Bir Hakeim
Oh mon amour
Moi la pire de tes hantises
Celui qui paiera ton gin fizz
Quand tu t’est grisée, brisée
Oh mon amour
J’ai perdu plus que la raison
Reclus dans le feu notre maison
Et sous le coup de vexation
De playstation
Mon amour je voudrais te punir
Mon amour je mens comme je respire
Mon amour je voudrais t’agrandir
Mon amour je n’ai rien vu venir
Dans ta bouche
Mon amour je pourrais tout subir
Dans ta bouche
Mon amour je mens comme je respire
Dans ta bouche
Mon amour je n’ai rien vu venir
Dans ta bouche
© Benjamin Biolay
Magnifique chronique, tout est dit de la consistance et de la densité de cet album. Oui, c’est aussi mon Biolay favori. Merci
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J’adore l’article. J’irai peut-être (sûrement) écouter le Biolay.
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