Garden With Lips – Magnolia.

Ne vous méprenez pas, l’hiver sera bientôt là. La douceur des températures, cet été indien trompeur, ne sont que des leurres destinés à nous faire baisser la garde. Heureusement, Gildas Secretin aka Garden With Lips veille et prépare le terrain. De son jardin aux lèvres chantantes, il nous envoie la bande son idéale d’une saison à venir, hésitante, aux contours flous et vaporeux. De quoi ne pas craindre de se retrouver seul sous son plaid avec ses fantasmes et ses démons.
Depuis des années maintenant, il compose de brillantes chansons comme autant de fidèles compagnes des longues soirées de doute. Quand à la nuit tombée tout se fait soudain plus inquiétant, plus incertain, plus fébrile. Quand la nuit s’étire au long cours, que le temps nous échappe le temps d’une traversée houleuse, que les heures pèsent des ans, des siècles souvent, que les soupirs et les murmures trahissent les cris trop retenus et les envies contraires. Quand les « bonne nuit » se transforment en exils lointains, quand les certitudes se déguisent en « peut-être » mais ne trompent finalement que nous-mêmes.
Louvoyant au gré de ses envies, l’artiste a toujours refusé de choisir entre pop immédiate et folk ombrageux, entre new wave stylée et rock intimiste. Graphiste talentueux, il pratique en musique comme en arts plastiques : ses albums, ses morceaux sont de merveilleux collages raffinés, pleins de détails à peine audibles, pleins de recoins dissimulés, pleins de couches d’ombres et de lumières. Parfois il n’y a qu’un décor, une ambiance et quelques motifs qui jaillissent de derrière les haies touffues telles des trouées d’aube. Parfois, il cède à l’envie de luxuriance, d’opulence et cache des sons sous des sons, des choeurs sous la mousse humide qui envahit peu à peu son jardin. Alors il s’y remet, rajoute, enlève, simplifie, multiplie. Il lève parfois la tête pour voir ce qui se reflète dans le miroir au fond de ses yeux fatigués. Puis il y retourne, comme habité. Et pendant des heures, il malaxe, triture, déchire, colle, jette, récupère, fond. Pendant des nuits il sculpte ses morceaux jusqu’à s’en faire saigner les mains. Pour la beauté du geste.
Si son précédent album Pelissandre s’avouait ouvertement plus pop, plus frontal que par exemple La Voix de mon rêve ou La Vie de Court, Magnolia (toujours chez L’église de la petite folie) pourrait ressembler à un best of. Un best of dont vous ne connaitriez bizarrement aucune des chansons qui vous sembleraient pourtant familières. Un best of de ses talents de compositeur, un best of de ses envies, un best of de ses marottes, de ses obsessions, de ses souvenirs parfumés. Alors il ne choisit toujours pas et c’est tant mieux. Tout au long de cet intrigant labyrinthe, on croit apercevoir les ombres d’un Robert Smith qui se serait converti à l’acoustique, on titube enivré par les chuchotements complices d’un Biolay, on cherche le sens de la poésie brute d’un Lou Reed ou de collages façon beat generation. Portés par un souffle chaud et anthracite, les morceaux de Magnolia se lovent autour de nous avant de venir se nicher au creux de nos âmes ébréchées, quand la voix hantée de Marie Pierre les fait tournoyer dans l’air embrumé avant de les planter au coeur de ce mystérieux jardin mélodieux. Alors comme un chanteur populaire et mal aimé, on se rend compte qu’on a toujours aimé les chansons qui parlent d’amours déçues et d’hirondelles mélancoliques, de chagrins joyeux, de vent dans les feuilles et de frissons éphémères.
Magnolia for ever.
© Matthieu Dufour