Chronique – Garden With Lips – La Vie de Court.
Il y a quelques jours je me plaignais du trop plein de musique, de disques, de chansons, j’avais passé trois jours à évacuer des liens Soundcloud, des CD promos, enchainant les titres avec lassitude et ennui. La vie est injuste car dans le lot se trouvaient certainement des projets qui auraient mérité une attention plus soutenue, une meilleure humeur, une nouvelle écoute. Car il en a finalement toujours été ainsi : certains disques vous frappent par leur évidence, leur immédiateté, ils se donnent comme autant de garçons ou de filles faciles, ils couchent dès le premier soir. D’autres se livrent plus difficilement, vous font languir, patienter. Ils donnent des bribes, avec parcimonie, mais suffisamment pour vous donne envie d’y retourner, de vous prendre un nouveau râteau, un nouveau mur. Jusqu’au moment où vous décider de vous y consacrer vraiment, tout entier, casque sur les oreilles, avec pas d’autre préoccupation en tête que de rentrer dans cet univers qui vous résiste. La vie de court, troisième album de Garden With Lips, projet du graphiste Gildas Secretin (chez L’Église de la Petite Folie), est de cette race, de celle des disques qui méritent un engagement, une présence. Mais le résultat en vaut la chandelle.
Cet enfant de Bretagne et de Corse livre ici un disque d’une grande beauté minérale, plein de mélodies alambiquées, de motifs sinueux qui se laissent glisser avec douceur le long d’un lit de roches usées par des siècles d’orages violents, des mots chuchotés dans le creux de nos oreilles attentives, des paroles vénéneuses qui se frottent aux broussailles de ces chemins escarpés et pentus, des collages sonores organiques qui prennent le maquis pour mieux se retrouver. La vie de court développe un monde singulier et des univers intimes aux apparences du réel, de la vie. Des panoramas intérieurs en trompe-l’oeil, des randonnées musicales pleines de chemins de traverse, de fausses pistes, des excursions sonores en trompe-l’oreille. Chacune de ses chansons ressemble à une traboule lyonnaise : on entre dans un passage étroit au milieu d’une ruelle sombre et l’on ressort quelques dizaines de mètres plus haut, plus loin ou plus bas sur un boulevard en pleine lumière ou dans la cour d’un immeuble bourgeois.
Ce qui intrigue et passionne chez Garden With Lips c’est cette faculté d’expérimenter vraiment sans avoir l’air de le faire : pas de morgue, de prétention ou de frime, non juste le plaisir de sculpter différentes matières sonores. Cet amateur de collages visuels applique ce savoir-faire à sa musique. Je l’imagine devant son ordinateur et son magnéto, à portée de main des sons récoltés dans les montagnes. Il doit faire des essais, lancer une mélodie, coller des morceaux, décoller, repositionner, couper, ajouter, enlever, décaler, ajuster, tenter des associations qui semblent improbables mais se révèlent étonnantes de justesse et de d’évidence. Des échos arides d’une guitare qui aurait beaucoup écouté les Cure, aux scansions d’un flow que le grand amateur de hip hop qu’est Biolay ne renierait pas, Gildas enchaine les titres avec un mélange de maitrise et de lâcher prise, et parvient à garder le cap d’une cohérence qui impressionne.
Tour à tour délicat, sombre, évident, clair, tortueux, pop, rap, La vie de court bat le chaud et le froid, joue avec nos coeurs fatigués, nous égare, nous rattrape par le bout de ses mots murmurés, et séduit par son audace. Avec ce grand disque, Gildas Secretin ajoute une pierre précieuse à l’édifice Garden With Lips. J’ai bien fait d’y revenir…
© Matthieu Dufour
Chronique de son précédent album – La voix de mon rêve.
Chef-d’œuvre !
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