Octobre 1972 : Le Professeur – Valerio Zurlini.
Le Professeur, de Zurlini, avec Alain Delon, ressort le 12 juin. Pas un chef-d’œuvre mais un beau film sur l’illusion dépressive.
Daniele Dominici débarque à Rimini, station balnéaire ici filmée dans la grisaille de l’hiver, ville glauque, désertée, où il n’y a rien à faire sinon picoler et jouer au poker. Un environnement en parfaite osmose avec la dégaine de Daniele : le regard vide, mal rasé, les mêmes fringues jour après jour, la belle gueule du maussade au lourd passé. Prof de lettres au lycée, mais qui encourage ses élèves à fumer en classe et se contrefout de leurs utopies libertaires, Daniele remarque le visage de Vanina, une jeune étudiante aux fêlures explicites, puis décide d’en tomber amoureux.
Le Professeur, comme à l’accoutumée chez Zurlini, est une œuvre plombée, exagérément religieuse, la corde au cou, mais retorse dans son abnégation. Ne surtout pas voir en Daniele l’archétype du malade dépressif, mais le portrait d’un homme (écrivain raté) qui cherche la dépression afin de trouver l’inspiration littéraire. Car Daniele est à son aise, du moins le fut-il un jour, dans cet état comateux. Un lourd secret familial lui permit de rédiger ses premiers poèmes, puis un mariage avec une femme « brisée » l’aida dans son entreprise de démolition intime. Problème : le secret familial remonte à loin, et les relations avec son épouse, entre lassitude et tromperies complices, ne lui inspirent dorénavant plus rien. Il lui faut une nouvelle muse, une jeune femme qui va le bousiller – donc lui permettre d’écrire.
En accrochant sur Vanina, en cherchant à la vampiriser, Daniele s’imagine, à tord, que leurs détresses pourraient se compléter (ce qu’il obtint sans doute auparavant de sa femme). Le personnage fait bien trop confiance au charme de la dépression. Pour lui, la détresse morale s’explique par la poésie de Goethe, Manzoni ou Stendhal. Il n’est qu’écrivain de son malheur. Un pauvre type, aristo qui se bannit, bientôt confronté aux limites de sa perdition : avec Vanina, dans la remise des compteurs à zéro, Daniele comprendra qu’il ne peut survivre sans la présence de son épouse. Trop tard (c’est un film de Zurlini, le plus pessimiste des cinéastes italiens de sa génération).
Zurlini ne filme que des ruines : château abandonné, villas sans habitant, rues désertes. Avec un ciel qui plombe. Des personnages mesquins (la plupart antipathiques). Le Professeur : noir c’est noir.
Or, Zurlini, en montrant une dépression revendiquée par son personnage principal, et toute l’inévitabilité s’y affairant, permet à son film de toucher une corde sensible. Daniele est une figure tragédienne pour des raisons égocentriques. Vanina ne lui fait aucun mal, et peut-être une histoire d’amour aurait-elle pu se concevoir. Sauf que : Daniele est l’agent de sa propre mort, il raisonne trop poétique, la réalité lui échappe, jusqu’au dernier plan du film (prise de lucidité soudaine) qui se joue de lui avec ironie (on pense aux Choses de la vie de Sautet).
Avec le recul, Le Professeur est un film imparfait. Certaines séquences tirent en longueur (celle de la boite de nuit), il manque une ou deux scènes entre Daniele et son épouse (on comprend leur relation, mais le rythme fait très souvent oublier l’existence de cette union qui revient parfois dans l’histoire comme un cheveu sur la soupe). Broutille…
Broutille parce que Delon. Immense, forcément. À une époque où la star se souciait peu de composer des rôles ingrats, nébuleux, schizos. Ce n’était pas encore le public qui comptait dans ses choix de carrière, ni son égo, mais l’envie de soumettre « sa gueule » à un metteur en scène exigeant. Le Professeur montre le Delon que nous aimons : un grand acteur au service d’un auteur qui le travaille. Zurlini, Losey, Godard, point barre !