Chronique – Dylan Jones – Davie Bowie : A life.

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Je suis arrivé à Bowie très tardivement. Pendant trop longtemps je l’ai presque ignoré.  Méprisé de cette morgue adolescente pleine de certitude, de suffisance. Bowie était pour moi un artiste du passé, un chanteur de vieux. Trop occupé à d’autres obsessions adolescentes (New Order, The Smiths & Cie), je me contentais de picorer quelques singles répondant à mon amour pour les tubes évidents (Ashes to Ashes, Modern Love, Absolute Beginners, …). Pendant longtemps j’ai préféré son compère Iggy qui comblait mes sombres et secrètes envies d’une vie d’excès. Et puis un jour j’ai basculé. Totalement. Corps et âme. J’ai succombé à ce génie protéiforme, à cette oeuvre gigantesque, à ces personnages légendaires, Ziggy, The Thin White Duke, …, à cette ambition artistique hors norme. Découvrir un tel artiste sur le tard est une expérience toujours fascinante tant il y a de retard à rattraper, tant il y a à découvrir, de voies à explorer en même temps. Mais même si je devinais certaines obsessions chez l’homme, certaines ambiguïtés, l’artiste m’offrait bien assez d’émotions pour que je m’intéresse plus à sa vie, à sa trajectoire, aux coulisses. Les disques m’occupaient et me nourrissaient. Souvent l’oeuvre me suffit. Mais pour une fois j’ai fait une exception. Et j’ai bien fait…

Passons rapidement sur le massacre éditorial d’une édition française truffée de fautes, de coquilles et, si j’en crois des lecteurs ayant comparé les deux versions, de grossières erreurs de traduction. Passons sur quelques longueurs ou périodes de la carrière de Bowie m’attire moins. Passons sur les pseudo-révélations trash concernant ses addictions sexuelles ou cocaïnées, L’essentiel est ailleurs : dans la force évidente de la somme de témoignages de tous ceux qui ont vu grandir David Jones, de tous ceux qui l’ont aimé ou détesté, de tous ceux qui ont assisté à la naissance et à l’ascension de David Bowie. Privilégiant ces témoignages « oraux » à une biographie linéaire classique, l’auteur nous immerge dans une vie foisonnante, une histoire racontée par ceux qui y étaient.

Des artistes, ses amants, ses maitresses, ses amis d’enfance, des membres de sa famille, des journalistes, des photographes, Angie, Bono, Boy Georges, Amanda Lear, Tony Visconti, Mick Jagger, Hanif Kureishi, Roger Daltrey, Biran Eno, Marianne Faithfull, Ricky Gervais, Bob Geldof, Debbie Harry, Brian Molko, Julian Temple, Dave Stewart, … : l’auteur les a tous rencontrés pour construire cette passionnante biographie qui livre un Bowie évidemment fascinant mais surtout complexe, trouble à souhait, tourmenté, obsédé, dont on ne sait jamais vraiment s’il le vampire manipulateur décrit par certains ou « seulement » le génie passionné, généreux et intuitif qui voyait plus, mieux et avant tout le monde. Seule certitude, tous ces témoins étaient fascinés par le chant, l’ambition et le charisme de Bowie qui possédait ce truc en plus qui le rendait quasiment invincible, immortel.

Loin de l’hagiographie béate, le livre de Dylan Jones nous propose un Bowie tour à tour attachant et détestable, un David Jone qui restera en partie un mystère une fois les 700 et quelques pages achevées. Et c’est peut-être la plus grande réussite de cette bio : captiver, surprendre, amuser, donner des clés sans livrer la solution d’une énigme dont seul Bowie était détenteur. Car ce qui compte finalement, c’est bien l’oeuvre. Immense et singulière.


© Matthieu Dufour


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