Christophe Menassier – The Unknown Movie.

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La vie est bien souvent une banale histoire de rendez-vous, de rencontres, de quelques secondes de trop, de trains ratés, d’instants d’inattention, de bons ou de mauvais moments. Je crois qu’il en est de même pour la musique qui nous touche. Ce n’est certainement pas un hasard si ce que nous découvrons à l’adolescence, période pleine d’émotions intenses et paradoxales, nous marque souvent à tout jamais. Alors parfois on passe à côté d’une chanson, d’un artiste parce qu’on n’a pas assez dormi, qu’il est trop tôt, qu’il ne fait pas assez froid, parfois on néglige la beauté d’un disque parce qu’on est de mauvais poil ou de trop bonne humeur. C’est injuste mais c’est ainsi.

Si j’avais écouté le disque de Christophe Menassier il y a un mois, je l’aurais peut-être zappé, relégué dans le cimetière virtuel des disques écartés. Mais là, maintenant, à cet instant précis, en ce vendredi 29 mai après-midi, à la charnière d’un déconfinement annoncé, sa musique devient sans prévenir la bande son idéale de cet entre-deux flou et encore terriblement confortable. Là, maintenant, elle épouse avec précision les pulsations erratiques de ce moment de flottement. À la fois trouée dans les nuages annonçant le retour de la douceur, lueur frémissante d’espoir à l’entrée de la grotte et, en même temps, silhouette tremblante aperçue au loin, ombre hésitante qui nous rappelle un amour de jeunesse, cette musique est la promesse d’une aube incertaine mais à nouveau possible.

La beauté évidente de ces douze thèmes instrumentaux n’est finalement pas très importante. Ce qui compte, c’est ce sentiment de vie et de liberté qu’ils procurent, cette ouverture poétique sur un ailleurs, cette matière à la fois sobre et riche, limpide et dense, ce voyage immobile qui débute dès les premières notes de piano. Cette sensation de pouvoir enfin courir à perdre haleine dans les herbes vertes et folles ou nager dans les eaux vives d’une rivière glacée en plein été. Ce plaisir que l’on prend soudain à vouloir gravir une pente abrupte pour s’essouffler, pour mieux se sentir vivant.

S’amusant de ruptures subtiles mais fermes, de nombreux pas de côté, créant des failles dans lesquelles on peut se laisser tomber sans crainte de la chute, Christophe Menassier semble épargné par l’obligation de plaire, de s’imposer, de se conformer. Il compose et joue comme libéré de tout autre poids que celui de donner libre corps à ses films intérieurs, de graver dans sa chair et sa mémoire des images, des paysages, de ressentir en pleine conscience les émotions procurées par ces fuites, ces retrouvailles, ces excursions oniriques, ses guerres intestines. De ces morceaux à l’apparence parfois classique s’échappe peu à peu une irrésistible envie de se réconcilier avec tous nos rêves, toutes nos envies.

Il ne faut pas pour autant trop se fier à la légèreté apaisante de ces douze morceaux et à la subtilité de ces percussions caressantes comme autant de battements de cils sur des yeux embués, car leur charme est vénéneux. Le compositeur sait aussi faire gronder le tonnerre et strier ses cieux de gris et d’éclairs à coup de percussions franches et frontales qui font subitement s’emballer nos coeurs engourdis. Peut-être pour nous inciter à ne pas relâcher cette quête d’une humanité fuyante et pourtant plus essentielle que jamais.

Alors oui, immersive, accueillante, envoutante, parfois lyrique mais jamais pompière, la musique de Christophe Menassier arrive au bon moment, celui d’une perte de foi en une époque où tout est trop souvent brouhaha incessant, concours d’invectives acerbes et concert de certitudes assommantes. Quand j’écrivais plus haut que la beauté de cette musique ne comptait pas, c’était évidemment un mensonge. Car dans cette histoire, elle est tout. Elle la joie retrouvée de l’instant présent. Elle est la fureur régénérée de nos fantasmes et de nos exils. Elle est le refuge reconstruit de nos laideurs et de nos lâchetés. Elle est la mélancolie réconfortée de nos cicatrices et de nos peurs. Elle est la beauté de chacun d’entre nous.

Et contrairement à tous ces moments parfois insaisissables et souvent éphémères, la beauté du disque de Christophe Menassier est très certainement durable.


© Matthieu Dufour




Le label December Square vient de signer Christophe Menassier et des vinyles sont prévus courant juin.


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