Alan Parker (1944-2020).
Malgré tout, Alan Parker fut emblématique des années 80. Il possédait une petite signature caméléon, très influencée par la pub (d’où il provenait, en compagnie de Hugh Hudson et des frères Scott) voire par le vidéo-clip.
À cette époque, j’étais trop jeune pour regarder un film en pensant à la « morale du plan ». Les œuvres de Parker, musicales, rock, assez humanistes, étaient en cela idéales pour un enfant de six ans qui aimait le cinéma, la pop, les clips, le mouvement d’une décennie finalement idyllique. Fame fut le premier Parker que je vis car la BOF tournait en boucle dans la chambre de mes sœurs ainées. J’en garde le souvenir d’un spectacle aussi flashy que cruel qui, à sa façon, annonçait les nombreuses émissions type The Voice qui pullulèrent ensuite lors des années 2000. Sauf que l’anti godardisme basique du film et les propos haineux de Parker envers Les Cahiers du cinéma (qui ne l’aimaient pas beaucoup, doux euphémisme) finirent ensuite par briser les émois que je gardais de Fame.
Les films de Parker étaient tellement liés aux années 80 que mieux valait effectivement ne pas les revoir sous peine de crier à la posture arty ou au chantage émotionnel. Car ainsi allait Parker : tel Oliver Stone (qui écrivit le contestable Midnight Express), le cinéaste britannique croyait fermement en la valeur pédagogique de ses sujets, jusqu’à ne guère lésiner sur la mise en valeur des intentions (de gauche, heureusement). Durant sa période « politique » (avec Mississipi Burning et Come See the Paradise), Parker, qui détenait un bon fond, n’hésitait pas à décrire le FBI de J.Edgar Hoover à la façon d’une communauté entièrement au service de la lutte contre la discrimination raciale (logiquement, Spike Lee hurla contre cette déformation historique). Sauf que Parker avait bien conscience qu’il ne s’adressait pas à une élite cinéphile mais au public lambda : mieux faire passer la condamnation l’obligeait à divers raccourcis, à un schématisme volontaire, à l’importance du spectacle et de l’esthétique attrayante.
Acclamé par certains (Première, dans lequel, durant plusieurs années, Parker offrit un dessin satirique à chaque numéro), vilipendé par d’autres (Les Cahiers), inégal pour les indécis (Starfix), Alan Parker reçoit en 1985 l’unanimité critique avec le film Birdy. Grand Prix à Cannes (sous la présidence Milos Forman), applaudie en projection de presse, l’histoire de ce jeune homme (Matthew Modine) obnubilé par les pigeons devint, durant quelques temps, un objet culte – et une œuvre étendard pour la communauté gay. Pas revu depuis (j’en garde un souvenir attendrissant qu’une nouvelle vision pourrait gâcher), Birdy me trotte parfois dans la tête – la mélodie de Peter Gabriel ressurgit en moi sans que je ne m’en aperçoive.
En 87, dans le genre de contrepieds qu’il appréciait, Parker adapte un bouquin « diabolique » de William Hjhortsberg (Le Sabbat dans Central Park), l’histoire d’un détective miteux, dans les années 50, pactisant sans le savoir avec le diable. Angel Heart, au moment de sa sortie, profite de la renommée française de Mickey Rourke, notre acteur fétiche à tous. Le film lance un débat « pour ou contre le cinéma-pub », mais gros succès en salles… Redécouvert en période de confinement, Angel Heart tient en haleine car Mickey Rourke y est majestueux (Parker, contrairement à d’autres cinéastes, ne tarissait pas d’éloges sur le perfectionnisme de sa vedette). Pour le reste, je ne sais toujours pas ce que Parker veut nous raconter : l’histoire est bien fichue, le film reste joli à regarder (un peu trop, même), De Niro en Satan permet aux spectateurs d’apprécier un duel d’acteurs entre lui et Mickey, mais cela reste un pur exercice de style aux vaines intentions.
Ce fut le principal problème que les films de Parker finirent par éveiller en nous : metteur en scène doué mais trop esthétique, le cinéaste de Birdy semblait s’accaparer des genres cinématographiques variés (musical, drame, comédie, polar) pour les travailler d’une façon essentiellement formelle. Parker jouait avec le cinéma avec pour ambition d’apporter à ses films un style malléable souvent ancré dans l’année de leurs conceptualisations.
Auteur détenant une totale liberté artistique durant les 80s et début 90s, Parker finit néanmoins par désintéresser les studios, jusqu’à soudainement espacer chacune de ses (rares) nouvelles sorties. Je n’ai pas vu ses deux derniers films (qui ne me disaient rien), mais de son dernier triomphe, Evita, j’en garde le souvenir d’un Parker puisant dans ses précédents effets-signatures (les claquettes sur les flaques d’eau de Fame et Angel Heart, la marche militaire de The Wall) – une désuétude qui n’était pas pour déplaire, quelque part.
Avec le recul, je déteste détester les films d’Alan Parker. Car ils appartiennent à une période insouciante de mon existence, une période neutre loin de la cinéphilie, sans Bazin ni Daney (deux repères importants dans ma conception du cinéma). Un monde où l’enfance prenait les images sans chercher à les décortiquer et à leur adjoindre un principe moral. Un monde très naïf où un gros clip tel que Pink Floyd The Wall ressemblait à de l’expérimental. Il faut sauvegarder les images de l’enfance, ne pas les juger avec l’expérience adulte – cela conduit au cynisme.
Mais s’il ne fallait retenir qu’un seul film d’Alan Parker ? En 2010, lisant les Chroniques européennes de Pauline Kael éditées chez Sonatine, j’eus la surprise de voir cette imminente cinéphile (parmi les plus féroces) s’enthousiasmer pour le film Shoot the Moon. Elle écrivait : « Il n’y avait pas une seule scène qui sonnait juste dans les trois précédents films du cinéaste anglais Alan Parker (Bugsy Malone, Midnight Express, Fame), il n’y a pas une scène qui sonne faux dans son nouveau long-métrage, Shoot the Moon. »
Shoot the Moon (en France, L’Usure du temps), avec Albert Finney et Diane Keaton, malgré son passage à Cannes en 82, est le moins connu des Parker – c’est également celui dont Parker a toujours dit qu’il s’agissait « de son meilleur ». À la revoyure, on est d’accord : cette affaire de couple en crise, probablement car le sujet lui fut très personnel, obligeait le cinéaste à une certaine sobriété des images, à pleinement se concentrer sur la direction d’acteurs et à se laisser vivre par son histoire plutôt que de chercher un point de vue dominateur, trop voyant.
Depuis 2003, Parker avait abandonné le cinéma. Manque de force pour pactiser avec les studios ou pour peaufiner un script durant toute une année jusqu’à recevoir un refus général. Absence de forme physique, banalement… On le recroisait parfois dans des interviews hilarantes où, n’ayant rien à perdre, il balançait, avec une belle honnêteté, sur la difficile carrière d’un cinéaste à Hollywood. Alan Parker, symbole des 80s (donc, inconsciemment, de notre enfance insouciante), vient de rejoindre les pigeons de Birdy. Sur un air de Moroder et Peter Gabriel ?
© Jean Thooris