Mars 1987 : Jeux d’artifices – Virginie Thévenet.


A l’instar de son premier film (sublime La Nuit porte-jarretelles), Virginie Thévenet, dans Jeux d’artifices, raconte l’histoire d’une fille et d’un garçon qui s’inventent leur propre monde, un univers de fantasmes et de créations. Sauf qu’Elisa et Eric sont frère et sœur, et qu’un petit parfum d’inceste (suggéré brièvement) semble les unir. Ou bien, façon Cronenberg, ces enfants terribles, laissés à eux-mêmes (mère décédée, père absent), vivent-ils dans une telle symbiose que chaque rituel quotidien doit se faire à deux (manger dans la même boite de sardines, dormir dans la même pièce, voire se masturber l’un à côté de l’autre). Évidemment, lorsque la question des rapports amoureux extérieurs s’incruste dans le jeu (cette fois sans artifices), l’osmose risque de se rompre et conduire au drame.

Plus encore que La Nuit porte-jarretelles, Jeux d’artifices est un beau film d’architecture. Les lignes de l’appartement où emménagent Elisa et Eric semblent directement sortir d’une histoire d’Edgar Allan Poe revue par les songes de Cocteau, les plans de Thévenet détiennent une rigueur pop très BD (comme dans La Nuit, Tintin est à nouveau présent), les pièces regorgent de portes secrètes, les escaliers en colimaçon virent parfois au gothique… Si l’enjeu du précédent Thévenet consistait à filmer Paris la nuit, Jeux d’artifices est un film quasi essentiellement en intérieur, et son principe est de donner un corps et une âme à cet appartement aussi mystérieux que fascinant.

L’architecture, la beauté du cadre, la bonne distance du regard, voilà également des préoccupations que partagent les principaux personnages. Tombant par hasard sur l’appareil photo de leur mère, Elisa et Eric vont se lancer dans une série de portraits artisanaux très imagés (concoctés par Pierre et Gilles). L’extérieur, le champ invisible, sera convié à franchir la porte de l’appartement pour se laisser grimer par les jeunes artistes (qui entendent bien façonner le monde à leur manière) : les ami.es de passage se changent en Napoléon, Joconde, Barbie, en panthère, en pirate… Difficile de ne pas y voir les propres conditions dans lesquelles Thévenet a tourné son film : comme Elisa et Eric, la cinéaste investie un lieu clos, peaufine sa mise en scène avec un budget serré, invite son entourage à faire une apparition ludique (rien moins que Daho, Chabrol, Dombasle, Ionesco, Marco Prince, Paquita Paquin et… Frédéric Mitterrand – on imagine que Kalfon et Greggory n’étaient pas libres).  

Certains en 87 reprochaient à Thévenet un aspect un peu trop « branchouille ». Pourtant, à la relecture, Jeux d’artifices, comme La Nuit porte-jarretelles et Sam Suffit (le film suivant), au-delà de leurs sobriétés esthétiques, saisissent un air du temps, une douce mélancolie propre à la jeunesse des années 80 – sans trop y toucher. Surtout, Thévenet filme des corps en mouvement, des visages expressifs, avec une telle drôlerie que l’incarnation opère immédiatement et permet d’oublier les attributs de l’époque. Dans Jeux d’artifices, tout converge vers la beauté pas banale et l’aspect histrion de Myriam David, actrice dont le moindre gros plan raconte ou dévoile ici une histoire cachée, un faux-semblant, un ludisme totalement réjouissant – étrange que cette comédienne keatonienne, malgré des apparitions chez Chabrol et Assayas, se fit ensuite de plus en plus rare.

Et puis comment ne pas vénérer un film dans lequel Etienne Daho apparaît déguisé en Joconde ?


© Jean Thooris


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