Quand soupirent les mystères : le cinéma de Dario Argento – collectif (Rouge Profond).
Les éditions Rouge Profond concluent leur trilogie consacrée au maestro : après son autobiographie (Peur), son recueil de nouvelles fantastiques (Horror. Histoires de sang, d’esprits et de secrets), Quand soupirent les mystères s’impose à ce jour comme étant l’ouvrage analytique le plus complet jamais consacré au cinéaste de Profondo Rosso – quand bien même l’œuvre de Dario Argento, aussi fuyante qu’inépuisable, alimentera de nombreuses autres études.
Huit contributeurs (Maîtres de conférences, professeurs, écrivains, théoriciens du cinéma – dont Guy Astic, directeur de Rouge Profond) revivent diverses expériences argentesques non pas de façon thématique mais, beaucoup plus intéressant, selon huit points de vue : architectural, entomologique, psychanalytique, musical, littéraire, pictural ou spectral. Pas question ainsi de labourer des territoires déjà considérablement commentés, et que tous les fans d’Argento ne connaissent que trop bien (le conte de fée, la mise en scène opératique, les figures de l’innocence sacrifiée…). L’idée, au contraire, consiste à littéralement se projeter dans les mondes de Dario, à y traquer leurs mystères enfouis, leurs souffles atemporels. À pénétrer la chair de l’écran – comme si les auteurs s’identifiaient à la balle de revolver en images de synthèse qui traverse les joues d’une victime dans Le Syndrome de Stendhal.
Moins un ouvrage qui se questionnerait sur le cinéma d’Argento qu’un approfondissement de faits concrets : les insectes sont ici les images à l’écran de certains modules cinématographiques, l’instabilité du point de vue engendre peu à peu la disparition des personnages, la pneumatologie provoque le chevauchement de mondes, le passé est un présent sans fin… De même, cet ensemble de faits, pour se comprendre, ne peut en passer que par le rapport qu’entretient Dario à l’Histoire de l’Italie et à son refoulé issu de la Seconde Guerre mondiale, aux liens qui se tissent entre La Fille qui en savait trop (Mario Bava, 1963) et les premiers giallos d’Argento, entre Méliès et ses œuvres tardives (à partir du Sang des Innocents), entre les avant-gardes artistiques de l’après 1945 et les geysers d’hémoglobines de Ténèbres et Profondo Rosso…
Chaque admirateur de Dario Argento élira son chapitre préféré, d’où, en toute subjectivité, un immense plaisir face à la lecture freudienne que fait Frédéric Astruc de Ténèbres (baptisée « Les talons de Jane »). Si nous concevions déjà l’homosexualité refoulée de l’écrivain Peter Neal, les talons rouges phalliques ou l’amputation symbole de castration (axes psychanalytiques développés ici à un haut niveau), une idée forte nous obligerait presque à revoir l’intégralité du film sous cet angle : en associant le meurtre de Jane (et surtout son avant-bras amputé qui souille de rouge la blancheur des murs) à l’expressionnisme abstrait de Jackson Pollock, l’auteur avance l’hypothèse que « l’acte sexuel pressenti ici pourrait être une défloration, nourrie du fantasme que Jane est encore vierge (…) Le dripping serait alors la manifestation de l’éclatement d’un hymen rendu monstrueux par l’angoisse de la castration ». À trop spéculer sur le refoulé de Peter Neal, nous n’avions pas suffisamment écouté le passif et le présent de Jane.
Quand soupirent les mystères : le cinéma de Dario Argento (rouge Profond)