Les Prises Doillon – Antoni Collot (Marest Éditeur).


Constatation qui commençait à nous manquer : rédiger un ouvrage théorique ou analytique sur un cinéaste n’exclut pas l’humour, du moins la fantaisie de son rédacteur – se rappeler que certaines formules de Serge Daney étaient à se tordre de rire. Guère hasardeux à ce qu’Antoni Collot, dans son étude autour (en compagnie ?) de l’Œuvre de Jacques Doillon, consacre une large partie à l’humour présent chez celui qui, mine de rien, nommait l’un de ses plus beaux films Comédie ! (Birkin à Souchon : « est-ce que tu m’aimes ? Oui ou oui ? »). Car dans Les Prises Doillon, la liberté de ton d’Antoni Collot écrase la bienséance, le je s’amuse de préceptes gravés dans le marbre, le jeu avec les mots et les tournures lexicales provoque une galvanisante euphorie de lecture (jusqu’à relire une seconde fois le même paragraphe afin de s’assurer que, non, effectivement, nous n’avions pas rêvé) – il s’agît tout de même d’un ouvrage qui cite pêle-mêle le Verbe johannique et Les Aventures de Saturnin !  

Étude littéraire, ces Prises Doillon ? Oui et non. Oui car l’auteur décortique certaines caractéristiques propres au cinéma de Doillon (les enfants, la parole, le père). Non car ces 125 pages revêtent très vite l’allure d’un film transformé en livre, ou d’un docu-fiction qui s’incarnerait sur des pages à noircir. Les prises Doillon sont également celles d’Antoni Collot : « Première » et « Deuxième » ! Les sujets sensément abordés dans tel chapitre ne le furent pas ? On la refait ! (chapitre Contre-prise) ; un Hors-propos façon école buissonnière permet de lancer non pas la narration mais une invitation à voyager en territoires doillonesques (où se croiseront « diégèse » et Pialat,  filles qui héritent de la fonction phallique des pères et « petit Delon », Eustache et Dumont, Karaté Kid et Henri Decoin).

Humour qui n’exclue jamais la nécessité (féroce !) de tordre le cou à certaines contre-vérités ou idées reçues. Ainsi d’un Jacques Doillon cinéaste « éprouvant » pour ses acteurs en raison du nombre de prises demandées (« En condition de prises Doillon, l’acteur s’assujettit lui-même, s’émancipe de son sujet à mesure qu’il le travaille »), ou de l’étiquette « Doillon, cinéaste de l’enfance » (« La présence des enfants et adolescents dans ce cinéma est simplement proportionnelle à ce qu’elle est dans nos vies, ce sont donc surtout les autres cinéastes qui sont “des cinéastes de l’âge adulte”»). C’est peu dire qu’Antoni Collot enrobe de fulgurances lexicales des arguments qui refusent de se cantonner à la seule analyse de l’Œuvre doillonesque, pour inversement considérer le cinéma de Doillon comme faisant partie du monde.

Drôle, espiègle, érudit, cartésien, en connivence avec les lapins et les canards… Résumons : certainement le meilleur ouvrage cinématographique de ce milieu d’année 2021.


© Jean Thooris


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