Une pensée pour Tawny Kitaen.


Peu médiatisé par la presse française, l’étrange décès de Tawny Kitaen pour une cause encore inconnue, le 7 mai dernier à Newport Beach (où elle résidait), nous a émus. Car Tawny Kitaen, malgré une carrière d’actrice avoisinant le zéro intégral, était pour nous, en cette année 1983 propice à toutes les croyances enfantines et à tous les fantasmes d’écoliers, une image idolâtre, un visage référentiel de la décennie 80. Au même titre que Gabrielle « Hélène Demeuze » Lazure, Brigitte Lahaie ou Marilyn Jess.

Tawny Kitaen eut la chance et la malchance de rencontrer l’impayable Just Jaeckin, photographe fashion, mauvais cinéaste d’Emmanuelle puis d’Histoire d’O, pour l’impossible adaptation cinématographique de la bande dessinée sadomasochiste Les Aventures de Gwendoline (fascinant et furieux délire de John Willie, édité en 75 par Jean-Pierre Dionnet chez Les Humanoïdes Associés, actuel petit collector).

Gwendoline ? Un visage et un corps parfaits, mais une insouciance, une naïveté la conduisant inlassablement à se faire kidnappée puis attachée dans des positions assez Catherine Breillat qui devaient faire tiquer la censure de 1946-58 (époque de parution originelle de la BD de Willie). Canevas fort intéressant pour une possibilité cinématographique, mais trop restreint pour se cantonner à l’érotisme SM. Just Jaeckin en extirpa un échec artistique et commercial que le critique Jérémie Marchetti du Site Chaos Reigns qualifiait, au moment de la réédition du film chez Le Chat Qui Fume en 2020, de « nanar de luxe » étant « ce que l’ancien photographe a fait de mieux ».

Le Gwendoline de Jaeckin, ce fut d’abord pour nous un numéro hors-série de la revue Starfix, puis l’attraction provoquée par les yeux verts et la haute chevelure de Tawny Kitaen, et enfin la bérézina ressentie lors d’une première vision de l’objet (série B tendance Z avec crocodile en mousse et un fascinant Brent Huff en aventurier macho et mal rasé, cela produit par un Jean-Claude Fleury qui allait regretter la mise). Seul attrait, seul atout : Tawny Kitaen, qui prenait son personnage très (parfois trop) au sérieux, s’investissait comme une diablesse dans son premier « grand » rôle (auparavant, elle avait fait un peu de mannequinat et surtout de la pub). Son enthousiasme et sa détermination furent remarqués par la presse d’antan qui n’aimait pas Gwendoline mais précisait néanmoins que Tawny constituait le seul atout du film. À la relecture, c’est toujours vrai : le visage de Tawny Kitaen, même lorsqu’il est mal cadré ou rendu glacial par le regard impersonnel de Just Jaeckin, apporte une « chose » à l’écran, une aura, tout simplement une beauté. Tawny Kitaen aimait la caméra, et celle-ci le lui rendait bien.

Tawny Kitaen disparut ensuite de nos radars (Le Palace en délire avec un Tom Hanks débutant, Santa Barbara, le monde du rock FM). Avec, au fil des années, l’impression que Tawny méritait sans doute un parcours à la Kim Cattrall : peu remarquée chez les grands (Carpenter, De Palma), trouvant consécration dans la série TV (Sex and the City).

Tawny Kitaen n’est plus. Son visage Gwendoline restera néanmoins fétichiste, à l’instar de l’ingénue inventée par John Willie. Preuve que Tawny et Gwendoline ne faisaient qu’une. Une kitten habitait ainsi les années 80. Petit chat qui n’eut malheureusement guère trop l’occasion de souvent montrer ses griffes.


© Jean Thooris


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