Sébastien Raizer – Mécanique Mort (Série Noire, Gallimard).


Des frontières.

Fixes, délimitées, précises, cartographiées. Poreuses. Des lignes Maginot balourdes et vaines, infoutues d’arrêter les armées coagulées du libéralisme et du crime organisé. Les Trois Frontières, Thionville et ses environs. Un bout de France sacrifié sur l’autel du progrès. Un bout d’Allemagne refuge de mafias plus ou moins lointaines. Un bout de Luxembourg, blanchisseuse gangrénée par la corruption. Échantillon représentatif d’un monde occidental à l’agonie.

D’autres frontières.

Floues, mouvantes, incertaines, intestines, secrètes. Entre le bien et le mal. Le passé et le présent. Le devoir et l’envie. La morale et la survie. La justice et la vengeance. L’amour et la soumission. Le pardon et l’oubli. Des lignes imaginaires que nous franchissons chaque jour sans nous en rendre toujours compte.

Des femmes et des hommes.

Démiurges ou pions. Victimes ou bourreaux. Décidés ou résignés. Un flic brisé, lucide, donc misanthrope, carapacé derrière un désenchantement vital, un désenchantement comme une mécanique de survie. En quête d’humanité. Des mafieux raisonnables. Des mafieux dangereux.  Des mafieux impitoyables. Un deus ex machina. Des victimes collatérales. Un fantôme surgit du passé et de l’autre bout de la terre. Là où tout semble encore possible. Y compris la vie. Des politiques, des flics et des banquiers véreux. Des collabos. De la drogue, des zombies et une planète en phase terminale. 

Mécanique mort.

Fuite en avant orchestrée de main de maitre par un auteur au sommet de son art. Et de sa noirceur. Descente aux enfers placée sous le patronage éloquent de Joy Division et Dostoïevski. Entre violence implacable et douceur éphémère. Entre réflexions politiques et sociales et fulgurances poétiques. Entre chien(s) et loup(s). Une véritable tragédie grecque moderne portée par un souffle désespéré et une écriture habitée. Et dans les décombres on se met alors à chercher des traces d’humanité ou de ce qu’il en reste.

Un grand roman noir.

Très noir.


© Matthieu Dufour


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