Marilyn Jess, les films de culte.

Après un luxueux et décisif ouvrage consacré à la carrière de l’icône Brigitte Lahaie, les auteurs Cédric GrandGuillot et Guillaume Le Disez (cette fois secondés par Christian Valor) récidivent dans la Grande Histoire du X français en dédiant un beau livre à celle qui, pour beaucoup aux débuts des années 80, incarnait justement la relève d’une Brigitte ayant soudainement déclaré sa retraite des plateaux : l’émouvante et attachante Marilyn Jess, la petite Patinette (car blonde platine) de certains meilleurs films de Claude Mulot, Francis Leroi ou même Gérard Kikoïne. Une autre façon d’envisager le métier de comédienne porno, loin de l’aspect intimidant et dévotionnel de Brigitte Lahaie, puisqu’à chaque film, bons comme mauvais, Dominique Troyes (vrai nom de la Marilyn) donnait la sensation d’une proche copine, d’une adorable espiègle que nous aurions pu tutoyer sans rougir.
La première qualité de ce livre est… d’exister, d’enfin se tenir en mains, de pouvoir se contempler tel un objet de collection avant d’en mordre la lecture. Car voila en effet plus d’une année que le projet, via Pulse Video et une nécessaire campagne Ulule, s’attend avec ardeur – jusqu’à la crainte que l’ouvrage ne puisse sortir d’ici fin 2022. Récompense de novembre : non seulement le Marilyn Jess existe, mais il est tout aussi analytique, drôle, sincère, et iconographiquement splendide, que le précédent Brigitte Lahaie.
Il s’agit certes, disons-le, d’un ouvrage qui ravira d’abord les adeptes de La Femme Objet (Mulot, 1980) ou d’Adorable Lola (Kiko, 1981), et plus spécifiquement de la décennie Patinette (77-87) ; mais les auteurs, qui détiennent le recul nécessaire afin de replacer chaque film à la fois dans leur époque mais également au sein de la carrière de Marilyn, réussissent à écrire ici, comme hier avec Brigitte, une ode érudite, mais très vibrante, à un âge d’or qui pourrait, devrait, s’enseigner en écoles de cinéma – ce règne du « film d’amour français » renvoie dorénavant à une liberté sexuelle inédite que captèrent divers cinéastes, actrices, acteurs et producteurs d’antan. Car aussi bien pour Marilyn Jess, Brigitte Lahaie que Richard Allan (qui vient de sortir ses mémoires, Aventures sextraordinaires, toujours chez Pulse Video), ce fut une période « en famille » (si Dominique et Brigitte avaient été contraintes au porno, ces deux livres n’existeraient évidemment pas), une courte décennie désinhibée qui permettait aux filles et fils de bonnes familles de se lâcher dans l’amusement, se trouver et se revendiquer en tant qu’individus, mais aussi de volontairement cracher sur les derniers soubresauts d’un puritanisme alors en voie d’extinction (merci Giscard d’Estaing) – avant que le SIDA et le porno en vidéo ne brisent le rêve.
Marilyn Jess, et de là vient peut-être l’une des raisons de son culte, détenait un aspect caméléon qui la différenciait de ses conjointes X. Là où Brigitte Lahaie était Brigitte Lahaie (et il le fallait pour les aficionados !), et aux Etats-Unis Traci Lords composait avec de plus en plus de vigueur son volcanique doppelgänger, Patinette changeait de visage, de look physique, d’attitude, à chaque film : bikeuse (comme une autre Marilyn – Chambers –, nous l’aurions bien vu dompter une XS 1100 Yamaha ou une Suzuki 125 TS chez le Cronenberg de Rage en 79), blonde verhoevenienne, brune rigolarde, fausse ingénue, dominatrice, en cuissardes ou en jean, hara kiri’s girl, héroïne de BD, mutine… Toujours avec amour et liberté, à la façon dont ce Marilyn Jess fut rêvé puis enfin concrétisé. Vibrant cadeau de fans.