Aurélien Delsaux – Requiem pour la classe moyenne.

« J’ai pas choisi de vivre ici
Entre la soumission, la peur ou l’abandon
J’m’en sortirai, je te le jure
À coup de livres, je franchirai tous ces murs«
Est-ce que dans sa chambre d’adolescent, allongé sur son lit ou mimant le chanteur devant sa glace, le jeune Aurélien chantait les mots de Jean-Jacques Goldman ? Personnalité préférée des Français depuis des siècles malgré son long silence, totem d’une certaine classe moyenne, le chanteur décède au début du roman. C’est sur la route du retour de ses vacances qu’Étienne Baron, médecin dans un laboratoire et transfuge de cette classe moyenne (« Regarde-moi bien, je ne leur ressemble pas – Me laisse pas là, envole-moi – Avec ou sans toi, je n’finirai pas comme ça »), apprend la triste nouvelle. Une fois la voiture familiale garée Rue St Jacques à Lyon et la quiche Tradition décongelée tout bascule. Et plus rien ne sera vraiment comme avant.
Adieu la douce routine quotidienne peuplée de gestes coutumiers et d’habitudes mécaniques, adieu la normalité chèrement acquise, adieu les rapports feutrés et policés d’une famille bourgeoise comme les autres. Adieu Jean-Jacques. Ses proches lui laissent des messages mi-empathiques, mi-moqueurs. Son avocate de femme reporte son amour usé sur un chien (affublé d’un prénom humain), au prétexte qu’elle serait suivie et menacée. Dans une violente crise mystique son jeune fils le prévient : « Dieu te regarde Étienne ». Quant à son ado de fille, elle s’émancipe dans les bras d’une autre figure paternelle. Est-ce sa vie qui se casse la gueule ? Est-ce la mort de son idole qui a précipité ce chaos ? Il suffit parfois d’un signe. Ou Étienne Baron vient-il tout simplement d’ouvrir les yeux sur une réalité qu’il se refusait obstinément à regarder en face, paresseusement et lâchement confit dans une normalité qu’il pensait immuable. Éternelle. Désormais, la vie d’Étienne n’est plus branchée sur son régulateur de vitesse. Désormais, Étienne marche seul. Ni la fuite, ni l’alcool ne l’aideront vraiment à comprendre cette subite et douloureuse perte de repères.
Avec Requiem pour la classe moyenne, Aurélien Delsaux ne se contente pas de faire mourir l’auteur de Là-bas : travail, famille, couple, injonctions à la « normalité »… il dézingue gaiement d’autres totems malades de notre monde moderne. Aurélien Delsaux c’est ce pote qui au cours d’un paisible diner démonte avec un grand sourire et beaucoup de drôlerie toutes vos certitudes. Celui qui vous fait comprendre que vous ne faites que vivre votre vie par procuration. Et qui vous plante gentiment en fin de soirée, vous laissant seul, accablé, avec vos nouveaux doutes et des fonds de bouteilles pour seuls compagnons.
Le livre est porté par une très belle écriture à la première personne, pleine de télescopages, d’ellipses et d’images qui font mouche, de mélancolie et de poésie, et tenu par un rythme et une musicalité qui épousent parfaitement la crise existentielle de cet anti-héros qu’il ne juge jamais. Cet homme finalement touchant, à la fois dépassé par cette réalité dont il prend soudain conscience, rattrapé par un passé qu’il pensait enterré et bringuebalé par une essoreuse qui semble ne pas vouloir s’arrêter.
Cet homme qui redécouvre son âme et entreprend malgré lui un nouveau voyage.
Long is the road Étienne.
© Matthieu Dufour
Requiem pour la classe moyenne est sorti aux Éditions Noir sur Blanc