Bret Easton Ellis – Les éclats – Robert Laffont.


Quand Bret Easton Ellis remixe ses obsessions totémiques et sa propre mythologie (Moins que zéro et ses jeunes friqués désoeuvrés navigant entre sexe, drogue et soirées, Lunar Park et la mise en abime, American Psycho et son serial killer), ça donne un grand roman de bascule de l’adolescence vers l’âge adulte, un roman d’apprentissage hypnotique et vénéneux qui hante longtemps après avoir tourné la dernière page..

Les éclats, faux polar, fausse auto-fiction, où l’on retrouve un jeune Bret en train d’écrire Moins que zéro, de mettre à l’épreuve sa sexualité et ses amitiés quand débarque en dernière année de lycée Robert Mallory un apollon intrigant et au passé incertain. Arrivée qui correspond à une vague de crimes et de violence touchant des jeunes filles et semblant se rapprocher dangereusement des proches du jeune Ellis. Un tueur en série rôde et le futur écrivain semble être le seul à s’en émouvoir… Paumé entre sa petite amie alibi, ses amours secrètes et son « écrivaineté, il se laisse gagner par une confusion de plus en plus obsessionnelle qui met en péril son équilibre mental et ses relations avec les autres. Est-il devenu parano ? Cette peur grandissante n’est-elle pas simplement celle de se faire outer ? Robert est-il ce serial killer ? Que penseraient Tom et Susan de son attirance pour les garçons ? Sa tendance naturelle à imaginer des histoires a-t-elle pris le dessus sur la réalité ?

Comme dans Moins que zéro, si les parents sont absents les drogues et autres médicaments sont présents, dilués ou non dans l’alcool, désinhibants ou simple hobby pour enfants gâtés. Comme dans Moins que zéro, Bret et ses amis font des fêtes, vont au cinéma (la scène où Bret va voir shining pour la première fois) et écoutent de la musique dans leurs cabriolets. Mais là où, dans son premier roman, le désœuvrement régnait en maître, mis en scène par une redoutable écriture plate et clinique, dans Les éclats, les personnages prennent de l’épaisseur sous la plume d’un écrivain qui a mûri et attendu le bon moment pour se pencher sur son passé. Car évidemment, Ellis écrit pour lui (le « Pour personne » qui précède le livre donne le ton…) , parle de lui, de ses peurs et de cette année qui, de son propre aveu, reste l’une de ses plus angoissantes. Qu’il a enfin réussi à transformer en littérature.

A qui peut-on vraiment se fier ? Est-ce que je peux me faire confiance ? Ai-je été trahi par mes amis les plus proches ? Les ai-je trahis ? Comment m’assumer ? Que vais-je devenir quand demain tout va changer ? Autant de questions existentielles qui se heurtent à cette vague de violence, violence qui peu à peu infuse dans les relations entre Bret et les autres.

Avec une bande son toujours aussi éclectique et enthousiasmante, dans un Los Angeles une nouvelle fois plus vrai que nature, l’auteur prend son temps pour faire monter la pression jusqu’à l’orgasme horrifique final et ne desserre plus jamais son étreinte jusqu’à un dénouement épatant. 

Un superbe roman et un gros kif de lecture.


© Matthieu Dufour


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