En boucle – Le voyage (Gamine).
Tout au long de la nuit, tu m’as emmené
Sur les rivages incertains de l’ennui
Nous sommes partis en voyage, en voyage
On pourrait aller voir la mer, Venise en hiver
Ou les palmiers sur la Promenade des Anglais
Non, tu vois, je n’ai plus sommeil, non, plus sommeil
On pourrait partir tous les deux en voyage
Elle trouvait ça « mignon ».
Au début.
Elle me regardait avec un air attendri, un peu comme lorsque l’on observe un bébé tenter pour la 42ème fois de faire rentrer le cube rond dans la fente triangulaire. Toutes ces manies qui possèdent le charme de la nouveauté et de la différence pendant quelques semaines, quelques mois, avant de devenir des mobiles éventuels de violences réciproques. Il faut dire que je ne lésinais pas sur la touche Back de la télécommande la minichaîne Sony qui sonorisait le salon de son appartement de la rue Fondary lorsqu’arrivait la fin de ce voyage. Mais la mélodie était accrocheuse et le groupe était originaire de Bordeaux où elle avait fait ses études (un signe, lui faisais-je remarquer si je sentais le moindre ennui poindre après une 18ème écoute). Et je pense qu’elle n’écoutait les paroles que de loin. Ne retenant que les promesses de nuits blanches à s’explorer et d’excursions romantiques sous d’autres cieux. Elle ne pouvait pas savoir que dans mon esprit tordu c’était surtout le dernier couplet de ce morceau qui était l’objet d’une véritable fascination presque morbide.
Oh, tous nos rendez-vous manqués
Le temps qui passe et ne revient jamais, non jamais
Oh, tout ça si vite oublié, si vite oublié
Oh, c’est si vite oublié
Assez rapidement ce regard attendri s’est transformé en indifférence, les rivages de l’ennui n’étaient plus vraiment incertains mais certifiés « Routine Officielle ». Bien que toujours envoûté par cette pop ligne claire bercée par des arpèges de guitares à l’accent britannique et un harmonica plein de panache, je sentais bien que nous étions entrés dans une autre ère : celle de la négociation tacite, un Sanson pour un Gamine, un Jonasz pour un Go Betweens, un Cohen pour un Field Mice. Notamment lors des apéros et autres dîners qu’elle organisait avec une régularité de métronome et où le rôle de DJ me permettait d’échapper à nombre de conversations vaines. Et quand je persistais lorsque nous n’étions que tous les deux, elle se trouvait subitement une mère à appeler, un truc à finir ou une course à faire. Il y avait bien eu quelques voyages, pas vraiment dépaysants, quelques nuits blanches, plus alcoolisées que romantiques. Et tout un tas de trucs vite oubliés.
Évidemment, le temps, lui, ne revenait toujours pas.
Tout au long de la nuit, tu m’as emmené
Sur les rivages incertains de l’ennui
Nous sommes partis en voyage
On pourrait aller voir la mer, Venise en hiver
Ou Paris… Oh, mais les jours sont si courts
Et, tu vois, je n’ai plus besoin de toi
Je n’ai plus besoin de toi
Et puis un jour le disque a volé par la fenêtre, avec d’autres objets m’appartenant.
Il n’était plus question ni de tendresse, ni même d’indifférence. Il y avait bien eu quelques vagues promesses d’autres voyages, mais Paris restait notre cale sèche et le restaurant de paëlla du boulevard de Grenelle notre excursion la plus exotique. Elle ne supportait plus la « voix geignarde du chanteur » et « ces paroles odieuses et méprisantes » (qu’à force de gavage auditif elle avait donc fini par trop bien comprendre). Plus généralement elle détestait ma « musique de merde » et « tous ces textes déprimants ». Bref, l’hiver était arrivé, accompagné de sa longue traîne de jours courts. De toute évidence, nous n’avions plus besoin l’un de l’autre.
Nous étions arrivés au bout du voyage, à ces 3 ans bientôt considérés par Beigbeder comme la durée maximale de l’amour. Les gars de Gamine avaient expédié l’histoire en 3 minutes et 30 secondes tranchantes comme un katana. 210 secondes hyper addictives, qui plus de 35 ans après, me fascinent toujours autant.
© Matthieu Dufour