Some Great Reward – Depeche Mode (par Philippe Croo).


3 septembre 1984 : mon entrée en classe préparatoire pour une année scolaire exigeante et une expérience inédite d’internat.

24 septembre 1984 : sortie de Some Great Reward, 4ème album studio de Depeche Mode.

Hasard ou pas, le son de DM m’accompagnera au quotidien pendant ces 9 mois marquants. Chacun d’entre nous associe des moments clés de sa vie à de la musique, pour moi, c’est cet album qui est pour toujours la madeleine de cette année d’étudiant.

Après Speak and Spell (1981), A Broken Frame (1982) et Construction Time Again (1983), ce 4ème opus est celui de la reconnaissance internationale et de la confirmation pour le groupe anglais, qui signe là son fameux « album de la maturité » après le départ du cofondateur Vince Clarke fin 1981.

Le son ‘pop industrielle’ se confirme, la cover de l’album présente un couple de jeunes mariés posant devant une… usine, dont la présence est prégnante dans les paroles des chansons. Le groupe prend clairement le parti de la working class au job aliénant et vide de sens. Le cadre est posé.

L’ensemble alterne entre de la pop dansante avec des hits internationaux et des balades plus sombres et plus romantiques, chères à Martin Gore, qui a composé l’ensemble des titres, à part If You Want, commis par Alan Wilder.

Revenons en détail sur les 9 morceaux de l’album, en les prenant dans l’ordre, à l’époque, nous les écoutions comme ça, K7 audio oblige.

Something to Do claque comme une intro nerveuse et dansante. Avec son refrain asséné et répétitif, on est immergé dans l’univers de l’album, sombre et pessimiste : « Grey sky over a black town, I can feed depression all around », on n’est pas dans la variété légère.

Lie to Mie est pour moi une des plus belles réussites de l’album. Méconnue, elle associe une ritournelle entêtante et mélancolique, la voix profonde de Dave Gahan et des paroles douces-amères « Lie to me, but do it with sincerity ». Le titre de l’album est tiré de ce titre.

People are People, sortie en mars 1984 en single, est le titre le mieux classé dans les charts depuis les débuts du groupe. Hymne dansant anti-guerre, il se dit que Martin Gore ne l’aime guère avec le recul, il ne le joue d’ailleurs plus en live depuis 1988 ! Pareil pour moi, même si j’ai dansé de nombreuses fois sur ses rythmes saccadés.

On enchaîne avec une trilogie de balades, qui illustrent à merveille le talent de compositeur de Martin Gore et la voix unique de Dave Gahan. It Doesn’t Matter est une jolie chanson d’amour un peu tourmentée (forcément). Agréable mais pas inoubliable, surtout à côté de ce qui suit.

Stories of Old est mon titre préféré de l’album. Méconnue du grand public, j’aime son argumentaire engagé sur l’amour sans compromis (même si peu crédible), son refrain chantant, son ambiance mystérieuse, sa petite ritournelle instrumentale qu’on a envie de fredonner. On savoure les mots de la compo comme un bon verre de vin millésimé : « Let’s savour a kiss like we’d savour a sip of vintage wine ».

La chanson suivante est un bijou mélancolique, une déclaration d’amour déchirante, pour moi l’une des belles chansons écrite et interprétée par Martin Gore ; l’orchestration est sobre (juste un piano), l’émotion palpable. Somebody sortira en double single en octobre 1984 avec Blasphemous Rumours, la dernière chanson de l’album.

Master and Servant est le 2ème gros tube de l’album. Machine à danser, elle reste un des sons emblématiques du Groupe et un de ses plus gros succès. Paroles simples, rythmique implacable, puissance, elle a cependant suscité la polémique à cause de ses relents sadomasos et a été bannie de nombreuses radios.

If You Want ne connaîtra pas le même succès : elle est pourtant intéressante ; écrite par Alan Wilder, elle monte en intensité après un départ lent et illustre à merveille le son synthpop de l’album. Les paroles incitent à faire la fête après la semaine de travail. « Party time i here again ». Bon programme !

L’album se referme avec un titre sombre et profond, Blasphemous Rumours : l’histoire (apparemment réelle) d’une jeune fille suicidaire qui meurt en étant finalement renversée par une voiture… Pas gai… Depeche Mode en fait une chanson majeure de son répertoire, et interpelle Dieu sur son sens de l’humour morbide… Les voies du Seigneur sont impénétrables mais la voix de Dave Gahan se pose parfaitement sur une mélodie soignée et largement enrichie par les bruitages industriels qui donnent son identité à ce titre.

Some Great Reward s’impose comme un album clé dans la riche carrière du Groupe et une « belle récompense » pour les fans.

Mais du très bon est à suivre avec Black Celebration en 1986 !


© Philippe Croo