Chronique – DaYTona – Morceaux de lune (EP).

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Je suis vraiment heureux de constater qu’on peut encore en 2015 faire du rock en français avec une approche qui parie sur une forme d’accessibilité exigeante, sur l’intelligence de l’auditeur, une véritable ambition musicale, la passion de l’adolescence préservée et la sagesse de l’expérience, le tout sans tomber dans les travers de l’époque : se contenter d’une pâle imitation et tout mettre (ou presque) dans l’attitude, chercher le buzz à tout prix, miser sur une fausse jeunesse pour dissimuler une ambition mal placée, négliger les fondamentaux et se précipiter pour être dans le mouvement. La preuve avec Morceau de lune, l’excellent EP de DaYTona. Avec des morceaux taillés pour toutes les oreilles et, osons le gros mot, la radio, le groupe fait parler la poudre et la foudre mais sait aussi jouer de la corde sensible. Jouer avec nos nerfs fragiles. Fruit d’années de travail et de scène, ce son est celui d’artisans qui maitrisent parfaitement leur ouvrage, et s’il fleure évidemment bon les années 90, il sonne plus que jamais actuel notamment dans son propos.

Des doutes et des ombres, des corps fracassés, tailladés, des incendies charnels, des mains glacées d’effroi, des orages nocturnes, des chevauchées éclectiques des lendemains de fête, des gueules de bois sentimentales, des âmes autrefois gâtées, autrefois sœurs, des âmes aujourd’hui gâchées, désœuvrées, des souvenirs de guerres froides, de batailles dérangées, de campagnes victorieuses en noires retraites inévitables : la vie déroule son fil barbelé avec vice et insolence. La rancœur n’est pas loin mais l’énergie du rock, les rifs énervés ont cette miraculeuse faculté de trouver des raisons de se relever, de se remettre en selle. Catharsis sonique, transe électrique.

Car DaYTona ne se contente pas de réciter des leçons bien apprises comme de bons élèves, mais trace son propre chemin et refait la décoration avec le goût et la créativité d’artistes inspirés et impertinents. Savoureux équilibre de tension maitrisée et jamais accessoire, de guitares rageuses et rêches, de belles rythmiques impeccables, de montées et de descentes, de virages escarpés, le rock de DaYTona est sec mais mélodieux, accessible mais intègre, parfois lyrique mais jamais prétentieux. Les morceaux de cet EP se succèdent et font étalage de tout le savoir-faire d’un groupe qui ne se contente pas d’une seule recette mais sait installer un véritable univers. Il y a Morceaux de lune, tube évident et immédiat avec ce son rock classique et accrocheur, Comment et ces interrogations intimes et universelles qui reviennent en boucle, Ce soir là, formidable grand huit émotionnel entre chuchotements et montées implacables, et un Kasserine aux intonations presque pop, en forme d’ouverture pour clore cet emballant EP. Le tout avec un grand soin apporté aux arrangements et une vraie musicalité. Franchement, de telles chansons devraient voyager loin et rencontrer beaucoup de monde.

Cette musique me parle, me touche car je la sens au service d’une humanité franche et directe, d’une volonté d’avancer et de tenir debout malgré les désillusions, les échecs et quelques remords, elle a cette énergie du rock qui ne cesse jamais de nous porter, de me donner encore envie d’y croire. Elle me parle car je connais ces matins blêmes, ces nuits sans sommeil, ces conversations sans issue et ces dialogues de sourds, les montagnes russes des cœurs et des âmes à fleur de peau. Plier, courber, parfois reculer, mais rester digne et fier, c’est finalement l’essence, le moteur. Qu’une telle musique existe toujours me réjouit. Sincèrement. Matthieu Dufour


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