Si nous tirions des traits… L’année 2015 vue par Greg Bod (1/7).

« Look up here, I’m in heaven

I’ve got scars that can’t be seen

I’ve got drama, can’t be stolen

Everybody knows me now »


Photo Chronique 001

Une année s’achève quand les résolutions prennent du plomb dans l’aile, quand les résolutions s’endeuillent.

Quand les  » je ferai différemment » se transforment en « peut-être que ».

Quand le gui n’a même pas encore fané, quand le sapin n’a pas encore fini sa vie sur un bord de trottoir entre le trivial des containers à déchets et la tristesse des cadeaux avariés ou déjà cassés.

Une année ne se termine ni ne se commence jamais au carillon de minuit, il lui faut un acte fondateur pour cesser sa dilution, sa dilatation dans l’espace. Une année à venir peut faire sentir ses parfums bien avant son éclosion.

Comme un siècle finissant fait sentir ses mélodies fin de siècle sur des fonds de Piano à la Mompou ou dans la perte des lieder d’un auteur disparu.

2014 s’était terminée morose et annonciatrice de mauvais germes, de nouvelles nocives en gestation… Le fruit d’une époque à malaxer.

Une étoile noire au loin sur un étendard honteux, si loin, si proche.

2015 commença un 7 janvier de triste mémoire. Une date où  chacun se rappellera où il était, ce qu’il faisait, avec qui il était, quand il apprit la nouvelle.

Des dates qui marquent nos chronologies intimes et symboliques au même titre que la naissance d’un enfant, la mort d’un proche.

Vous rappelez-vous ce que vous faisiez le 11 septembre ? Sentez-vous encore cette certitude immédiate que votre vie ne serait plus toute à fait la même ?

Voyez-vous encore le vent qui s’engouffre parmi les feuilles ? La Dordogne et ses eaux perturbées par les cris  des tours qui s’effondrent…

Le 07 janvier, c’est une certaine idée de la liberté d’expression que l’on tua, de la satyre mais aussi une part de notre enfance.

Tuer le sourire de Cabu, ses crayonnés rapides sur des grands tableaux blancs de papier dans les postes de télé de nos 9 ans.

Tuer le sourire de Cabu, une certaine idée de la liberté, quelque chose à la manière du libertaire.

Comme ils durent rire de notre hystérie collective, de nos « Je suis Charlie ». Comme ils durent rire de leur « C’est dur d’être aimés par des cons » aux saveurs inédites et nouvelles.

A l’image des événements de l’année, la musique de 2015 ressemble à s’y méprendre à son époque.

Constituée de douleurs, de drames, de renoncement, de prise de conscience, d’interrogations, de débats, parfois endurants, parfois vite oubliés.

Le temps nous a donné le droit de s’ouvrir à un certain scepticisme même léger, même fugace face à cet élan national, cette prise de conscience républicaine aux soirs des attentats de Janvier avec une France réunie autour de belles valeurs généreuses et d’ouverture.

Bon après, il valait mieux ne pas trop aller fouiller dans les posts des blogs des pensées pour le moins nauséabondes qui promettaient des lendemains qui vomissent.

Cette même France qui se choquait de l’image d’un pauvre enfant mort noyé sur un bord de plage européen tout en jetant un coup d’œil bien avisé à l’intégrité de ses gardes-frontières, cette même France  qui quelques mois plus tard n’hésitera pas à se vautrer dans une belle fange merdeuse durant les régionales.

Cette même France crâneuse et arrogante aux vieux relents vichyssois bien cachée derrière son drapeau, cette même France et ses envies de déchéance de nationalité, ses replis sécuritaires, ses générations Balavoine et Bataclan, ses générations des clopinettes…

Vivons réunis mais réunis entre nous.

Alors quand tout est aussi minable, rance et pathétique, plus que jamais, il faut trouver des territoires tranquilles, des refuges où retrouver l’essentiel mais aussi pour y puiser l’énergie pour rester ouvert au monde, pour laisser ses frontières sans barbelés.

2015, comme toutes les autres années, eut son lot de déceptions, de flop, de hypes qui tombent comme des soufflets.

Pourquoi rajouter de la médiocrité à l’air vicié ambiant ?

Pourquoi perdre votre temps qui est si précieux avec le futile quand la beauté est à vos portes.

Modestement, c’est ce à quoi je vous convie tout au long de cette semaine sur Pop Cultures & Cie à travers cette traversée de 2015… Prendre le chemin du beau et délaisser l’autoroute de l’ennui et de la peur. Pour quelques instants, juste un moment


« Si nous tirions des traits comme des droites parallèles

Nos chemins se rejoindraient-ils ?

Si nous étions siamois, jumeaux et vies parallèles

Comment remplirions nous ces espaces qui nous séparent ?

 

Tu sais

Ces territoires comme des vides

comme des puits sans fond

ces reflets sans image

au delà des vents qui nous partagent et nous découpent

 

Participerions-nous à la valse des marionnettes brisées ?

Rien dans ces jardins aux statues alanguies

Espoir de rencontre inespérée

Monologue habité

 

Entends-tu l’écho qui te dit que tu n’es pas seul ?

Le plus important est toujours invisible

 

Si nous tirions des traits sur ces tableaux vides

deviendraient-ils des cercles 

car tout se transforme tout se déforme

 

Si tu étais moi

Si j’étais toi

jumeaux et vies parallèles

Connaîtrais-tu les cimes des arbres

le silence près des lacs ? 

le cliquetis, le craquement de nos mécanismes, des petits moteurs

ces mouvements comme des saccades

ces créatures de bois que nous sommes

ces nervures comme des failles qui nous traversent

 

Si nous tirions des traits sur ces feuilles blanches

prendraient-ils sens ?

Vivraient-ils sans nous ?

Courraient-ils d’une page à une autre pour écrire ces mots que nous ne connaissons pas, que nous ne comprenons pas ?

 

Deviendraient-ils personnages de papier , des extensions parfaites de nous mêmes , des caricatures païennes de nos idoles ?

 

Si nous tirions des traits sur la blancheur de ces feuilles de papier

comme d’autres tirent des balles

se dilueraient-ils dans le rouge sang ?

Deviendraient-ils martyrs de nos bonnes consciences honteuses

coupables incertains de nos silences trop lourds ?

Si nous tirions des traits 

comme d’autres tirent des balles

ricocheraient-ils à la surface de nos stupidités ?

 

Si nous tirions des traits 

Si nous tirions des traits 

Si nous tirions des traits 

des traits d’union »


A demain pour notre errance dans 2015


Greg Bod


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