Interview – Chevalrex – Futurisme titre par titre.
Aussi Loin
Tu places la barre haut avec cette première chanson. Les arrangements sont superbes. Tu as toujours porté beaucoup d’attention aux détails dans tes chansons : que t’as apporté la collaboration avec un label comme Vietnam ?
La collaboration avec Vietnam s’est dessinée tardivement, le disque était déjà écrit et enregistré, je m’étais arrêté à une étape de travail qui me semblait bien, j’avais mixé l’ensemble à ma façon, mais l’échange avec Franck du label a été suffisamment vif pour qu’il réussisse à me convaincre que ça valait le coup de refaire les voix et qu’on remette le mix à plat également. On pouvait faire mieux et ça valait le coup de s’y pencher en sortant un peu du mode de travail que je connais, c’est à dire enregistrer et mixer seul. L’idée a été de confier le mix à Angy Laperdrix, un super mixeur qui a réussi à révéler pas mal de choses qui étaient planquées dans mes versions, à rendre la matière à la fois plus vivante et ample. Aussi loin a été le dernier morceau écrit pour le disque. On a pu vraiment aborder le mix et les finitions avec une vision d’ensemble du disque assez précise.
Stand de tir
Deuxième titre, deuxième « tube ». Chez toi la nostalgie me paraît souvent lumineuse…
L’idée de lumière me plaît bien plus que celle de nostalgie. Je ne crois pas écrire de choses réellement nostalgiques, le point de tension du disque n’est pas du tout le passé. C’est plutôt ce qu’il y a devant, ou en tout cas la circulation entre le passé et le futur, qui m’intéresse. Sur ce titre, je parle effectivement d’une histoire d’enfance, de souvenirs dans une école, mais ce n’est pas quelque chose de lointain ou disparu, c’est plus une rampe de lancement, un truc qui constitue et éclaire celui que je suis, ce que j’écris…
Pour cible
Souvent dans tes chansons il y a comme des fausses pistes, on imagine des choses et on se dit qu’on s’est gouré…
Les fausses pistes, les surprises viennent probablement de ma façon d’écrire, j’ai finalement très peu de chansons qui partent d’une idée simple et claire, qui se déploie. Tout est souvent issu de diverses sessions d’enregistrement, d’écriture, les deux se mélangent. Ce morceau est vraiment le meilleur exemple dans le disque des collages que je fais. C’est un peu un grand terrain de jeu. Ce sont plusieurs bouts de chansons assemblés et un texte destiné à une autre musique qui un jour fusionnent. Je trouve que le sens jaillit de l’accident, pas de la décision initiale de raconter tel ou tel truc. Le sens premier, narratif, m’intéresse assez peu, je préfère l’empreinte d’une histoire à l’histoire elle même, quelque chose de plus abstrait, intuitif et durable je crois.
Movimiento
Pourquoi ce goût des morceaux courts ? C’est à la fois super car c’est souvent très intense mais parfois frustrant…
Je n’en fais pas un manifeste mais quand j’enregistre et commence à orchestrer des morceaux, je me rends vite compte qu’il y a beaucoup d’options, du coup, je pense que rester concis m’évite de tomber dans des morceaux à tiroirs, complexes… m’aide à faire des choix. J’aime aussi beaucoup l’idée de miniatures, de petits formats qu’on fait fourmiller de détails. C’est aussi une façon un peu punk de considérer les choses, on dit ce qu’on a à dire et on quitte la pièce, pas la peine d’en faire plus si tout a été dit.
Avec mon frère
J’avais adoré cette chanson lors de ton concert aux Trois Baudets. Là on a une version « enrichie ». Difficile de faire une chanson sur ce sujet ?
La question de la fratrie est une chose sur laquelle je reviens assez souvent, la famille au sens plus large également. C’est vraiment en toile de fond de beaucoup de mes chansons. Sûrement parce que ce sont des choses qui m’interrogent mais du coup, ça me semble assez naturel d’écrire dessus. Cette chanson est la première qui a été écrite pour le disque. Elle est même plus ancienne que mon premier disque Catapulte. J’ai, à un moment donné, imaginé que c’était la colonne vertébrale du disque, que tout le reste se construirait autour. Je l’ai aussi souvent joué en concert dans son plus simple appareil, guitare/voix, avant de lui imaginer un cadre plus orchestré.
Orléans
Tu as un truc contre la province comme Pascal Bouaziz ?
À la différence de Pascal Bouaziz (dont j’aime beaucoup les textes et musiques d’ailleurs), je suis provincial. J’ai vécu longtemps (et suis né) à Valence. L’idée du titre Orléans est un peu là pour appuyer l’idée de mouvement qu’il y a dans le disque. Simplement, par la géographie, on visualise une carte, un endroit, on place des pions, les déplace… Après, ce n’est pas un morceau à charge, c’est plutôt un morceau qui parle de couper un cordon, de se délester d’un poids. La ville symbolise un peu cette idée là, un endroit qu’on quitte.
Serpents
Tu as des phobies dans la vie ?
La peur des serpents, un peu comme l’évocation d’Orléans sur le titre précédent, est une approche très symbolique. Ce morceau est traversé par la même idée, se délester d’un poids, se libérer d’une emprise… Ce n’est pas un processus conscient. J’ai vraiment compris et pris la mesure de cette thématique générale en cours d’écriture.
Ventre et cervelle
Un truc que j’aime beaucoup dans ton écriture c’est ce mélange de fulgurances poétiques et de mots du quotidien, parfois familiers…
C’est un morceau que j’avais écrit très vite avant un concert parce qu’il me semblait qu’il manquait une chanson dynamique et directe dans mon set. L’aspect un peu frontal du texte vient sûrement de cet élan là, une sorte d’invective. Les images que j’emploie plus généralement dans les morceaux sont donc en courant alternatif permanent entre des visions très concrètes, comme sur ce morceau, et des paysages plus inconscients, des territoires incertains… J’aime bien que les modes varient, c’est sûrement aussi un peu le reflet des moments dans lesquels j’écris, d’humeurs…
Où es-tu ?
Comment renouveler son écriture sur ce genre de thématiques ?
C’est une question que je me pose assez peu. J’aborde l’écriture de façon très introspective et intuitive, avec beaucoup d’associations libres, de glissements… du coup, les thématiques apparaissent souvent à la fin du tableau. Par moment, ce sont des processus très lents, à d’autres moments, beaucoup plus brefs. Mais je n’aborde en tout cas pas le travail avec un axe thématique, donc sans crainte de me répéter ou en cherchant à tout prix un renouvellement. Je fais le tri quand je commence à avoir accumulé pas mal de matière, pour trouver une logique d’ensemble.
Vautours
Qui sont les vautours ?
J’aime bien la résonance de ce texte avec sa musique. Un truc un peu aride. La musique n’est pas western mais évoque un climat de tension, avec des trompettes finales quasi mexicaines… Il y a un truc dans le décor qui justifie complètement l’apparition de cette figure du vautour. C’est un titre vraiment en échos à Nocturne #1 qui le suit dans le disque. Une histoire de paranoïa dont on se débarrasse complètement par la suite.
Nocturne #1
Requin, serpent, vautour, l’homme est un animal ?
Requin chagrin, serpent à sonnette, le vautour dans Lucky Luke, l’homme est un animal pop.
Futurisme
Il y a une grande variété de tonalités mais une vraie cohérence aussi, à la fois musicalement et dans les textes…
Pour clôturer le disque, je voulais vraiment que ce soit ce titre mais on s’est cassé les dents pendant plusieurs jours, avec Angy, sur une version très orchestrée que j’avais enregistrée chez moi… il y avait beaucoup d’arrangements, d’instruments, mais le doute persistait. L’ultime matin du mix, n’étant toujours pas content de la version, j’ai juste proposé de repartir à zéro et faire une prise nue, wurlitzer/voix. Essayer quelque chose de plus léger. Ça a pris 10 minutes à installer le dispositif et c’était dans la boîte. On a juste tout repassé dans un échos à bande pour rendre la chose plus lunaire et flottante. J’ai adoré ce moment, ce geste final qui boucle le disque, le dernier souffle. J’imagine que la cohérence dont tu parles vient de ce genre de choses, de cette façon de rester dans la matière à toutes les étapes du processus. En tout cas, c’est une idée qui me plaît et c’est vraiment comme ça que j’aime travailler.