La guitare dans la vitrine – Olivier Libaux & Jean-François Martin.

1540-1.jpg


Un jour il sera trop tard. Vous entrerez sans frapper dans la chambre de votre ado malgré le panneau « interdit aux adultes » et la tête de mort dessinée dessous. Le choc sera rude. D’une violence qui vous rappellera votre propre adolescence. Autant vous prévenir, vous allez souffrir. Cela commencera par un bruit désagréable avant même d’avoir passé le seuil de cette pièce, quelque chose qui heurtera vos oreilles habituées à la pop anglaise ou au folk suédois, puis viendra une sorte de haut le coeur, incontrôlable, puis des frissons parcourront votre échine fatiguée. Enfin si vous êtes en mauvaise santé il n’est pas impossible que votre coeur soit touché. Pensez à installer un défibrillateur à proximité. Oui un jour vous entrerez sans frapper dans la chambre de votre ado et de ses enceintes bluetooth portables à la qualité sonore tout à fait discutable sortiront dans le désordre un amas de sons, de bruits que vous n’arriverez pas à identifier, une voix que vous n’avez jamais entendue mais qui d’emblée vous repoussera. Et des paroles qui vous sembleront faire insulte à l’intelligence de votre progéniture. Mais il sera trop tard, bien trop tard : cela fera déjà plusieurs mois qu’il écoute de la mauvaise musique en cachette, seul ou avec ses amis, sur YouTube ou M6 Replay, à votre insu. Vous aurez beau le menacer de couper son forfait mobile, lui interdire de sortir ou l’obliger à prendre une douche par jour, le mal sera fait.

Il existe pourtant une méthode simple : la prévention par l’éducation. Dès son plus jeune âge habituer ses oreilles à la qualité. Pas compliqué. Alors oui les journées sont longues, mettre ses enfants devant la tablette est tentant après une journée passée à répondre à des clients mécontents. Mais vous devez réagir. Il est encore temps.

Ça tombe bien, quelques semaines avant les fêtes, Actes Sud Junior sort un formidable objet, beau et bon à la fois. Là où parfois le CD accompagnant un livre pour enfants est un alibi mercantile, La guitare dans la vitrine a été conçu comme un tout cohérent et indissociable. Écrit par Olivier Libaux (Les Objets, Imbécile, Nouvelle Vague, UQOTSA, …) et illustré par Jean-François Martin, c’est d’abord un superbe livre aux couleurs chaleureuses et aux illustrations complices et élégantes. De l’amour, du suspense, des drames, des joies, des rires, les hauts et les bas d’une existence bien remplie, la quête de gloire et ses désenchantements, c’est une véritable leçon de vie que vos enfants (et parfois les plus grands) découvriront à travers l’histoire de cette guitare voyageuse et son ascension depuis une vitrine de Pigalle jusqu’à l’Olympia.

Avec beaucoup de finesse et de justesse Olivier Libaux fait ce que nous devrions tous faire plus souvent ; tout en respectant leur âge et leur niveau de maturité, ne pas prendre les enfants pour des simples d’esprit à qui il faut dissimuler le plus longtemps les horribles secrets de la vilaine vie. Avec humour et tendresse il nous fait suivre les aventures de cette guitare, instrument Ô combien majeur pour lui-même, et nous embarque dans un univers propice à l’échange. La partie musicale est à la hauteur du reste avec voix de Mélanie Pain et Albin de la Simone. On y retrouve le talent de compositeur et les arpèges du guitariste, une ambiance douce amère toujours dans la retenue, dans la délicatesse, jamais excessive dans un sens comme dans l’autre, toujours en équilibre sur le fil des voix de ses deux complices. Une musique humble qui sait se mettre au service des paroles.

Non il n’est pas trop tard pour éduquer vos enfants !

Hautement recommandé donc. Pour les grands enfants aussi.


© Matthieu Dufour


Publicité