Chronique – Rémi Parson – Tête de série

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L’été, une voiture qui roule sans se presser, le soleil rasant sur les champs tout juste moissonnés, l’air chaud, moite, salé, qui pénètre en rafales dans l’habitacle. Un peu plus loin, la côte infinie et déchirée qui grouille encore de touristes. J’adore les clichés, ces images universelles, cette communion des êtres à travers ces repères communs. Je n’ai jamais compris le mépris des littérateurs pour ces visions partagées, ces ciments émotionnels. Un peu comme en musique l’aversion hautaine que profère une minorité bien pensante à l’encontre de ces tubes platinés, de ces mélodies plus ou moins faciles mais immédiatement chaleureuses. Peu importe, je laisse ces intellectuels de la composition à leurs quêtes et à leur frustration, je me laisse aller à une rêverie vaguement dangereuse au volant, de souvenirs de flirts à Sables d’Or près des dunes aux premières ivresses marines. Pour une fois je n’essaye pas de trouver une chanson que je connais et que j’aime, le doigt collé sur l’autoradio. Coincé sur une FM locale j’enfile les tubes du moments et ceux du passé. Des gens que je connais pas chantent tous un peu de la même façon, je ne fais pas toujours la différence entre deux morceaux mais l’ensemble est agréable, dansant, joyeux. Parfois, un vieux hit des années 80, de ceux qu’il est bon de vomir, vient s’échouer à marée basse. Entouré sur le sable mouillé d’algues et de vielles images de courts de tennis en terre battue. D’émois et de hontes adolescentes. Encore une heure de route au moins. Plus j’espère. Seul au volant, seul sur cette route de campagne peu fréquentée, le temps semble arrêté.

Je n’ai pas encore osé glisser Tête de série, le nouvel album de Rémi Parson dans le lecteur. Une semaine déjà qu’il est là. Pas tant la peur d’être déçu que l’envie de faire durer le plaisir, l’attente, la montée des escaliers. Mais là, perdu au milieu du bocage je crois que c’est le moment de céder enfin à la tentation. Un peu fébrile je me lance.

Apéro dinatoire, la première chanson, semble reprendre les choses là où le londonien d’adoption les avait laissées avec ses derniers singles. Voix en retrait, écriture au cordeau, deux, trois ou quatre niveaux de lecture : impossible de savoir s’il parle de nous, de lui ou d’un collègue musicien. Avec ce tube certifié Parson pur jus et sa mélodie imparable, l’album commence de la plus belle des manières. Mais cette parenté immédiate avec le passé récent est un leurre. Une fois de plus, l’artiste, qui convoque dans cette introduction tout ce que l’on aime chez lui (le combo boite à rythme vintage, synthé démoniaque et guitare pleine de panache et de saletés), n’en fera en fait qu’à sa tête.

Avec la trilogie qui suit, Rémi Parson va gratter là où ça fait mal (spleen rentré contre faux-semblants, amour en fuite et misanthropie ordinaire, vacuité moderne et ennui contemporain). Jeune Premier, Copywriter et Fête Nationale convoquent avec classe les premiers Cure. Mais comme à chaque fois qu’il assume ses influences, Rémi Parson le fait avec fierté : il ne singe pas, ne copie pas mais ne fait pas non plus semblant. Sûr de ses goûts il réinvente, assaisonne, triture pour nous livrer sa version des événements passés. Si les influences sont d’hier le son est résolument d’aujourd’hui, l’ensemble étant servi par une écriture qui s’affine refrain après couplet. Impressionnant.

Haute couture rhabille les snobismes de nos contemporains de façon magistrale. Avec sa rythmique binaire, martiale, hypnotique, ce tube de fin de soirée illustre à merveille les travers d’une époque où la grande comédie de la vie prend des proportions hyperboliques, à travers les réseaux dits « sociaux » notamment. La voix de Rémi Parson est maintenant bien devant, les cordes de sa guitare semblent à deux doigt de céder, le synthé comme en suspension, comme si ce Tower Bridge en allumettes vacillait, menaçant de tomber pour la France ou premier courant d’air.

Sixième titre et début de la face B d’un éventuel vinyle, Rémi éteint la lumière. Spam nous plonge dans une mélancolie dont ne sommes pas près de sortir. Musique et paroles en ombres chinoises, lames acérées et émotions en équilibre sur le fil de notre hypothétique destinée. Glaçant, planant, excitant. Maintenant qu’il nous a fait descendre dans les souterrains de son vague à l’âme, Parson n’a aucune intention de nous laisser remonter à la surface. Il va bien falloir payer un jour où l’autre tous nos errements.

Avec Aligot, le chanteur originaire de Montauban dresse un portrait hilarant de ses collègues de bureau, à moins qu’il ne s’agisse d’un autoportrait, allez savoir avec cet adepte du spleen facétieux. Mais si le propos prête à sourire, l’ambiance musicale ne plaisante pas elle. La température baisse à chaque note, les synthés ralentissent, la guitare digresse et notre émotion figée se laisse lentement glisser dans les sables mouvant de cette composition diabolique.

Tout au long de cette deuxième partie d’album, Rémi Parson poursuit son travail de sape, démolition de son image, de ce qu’il aurait du, pu, faire, il brise son piédestal, casse ses jouets pour mieux nous surprendre. Tour de force : réussir à maintenir cet équilibre précaire entre mélodies irrésistibles, rythme ralenti, textes en trompe l’oeil et mélancolie optimiste. Comme s’il parvenait à regarder de haut cette misanthropie qui parfois le ronge mais en fait également le plus précieux des amis pour ceux qu’il parvient à aimer. Comme s’il essayait enfin de ne plus vouloir plaire à tout prix. A tout le monde. Comme s’il parvenait parfois à être en paix. Sur Camping Car, Monopoly et Shoegaze, l’auteur, compositeur, interprète, est au sommet de son art et je défie toute personne dotée d’un minimum d’empathie de résister à ces hymnes noirs mais si humains. Nous sommes en plein dans la musique. Celle qui parle autant à l’âme qu’au corps, aux tripes qu’à la raison. Oui nous y sommes. Nous y sommes bien.

Addition achève l’album avec brio. Rémi Parson psalmodie quelques mots, il n’y a plus de couplets, de refrains, juste des bribes qui s’enroulent le long de cette mélodie épique de presque dix minutes. Nous avons lâché prise, l’artiste lui-même semble être passé de l’autre côté, là où l’intuition, l’intention ont pris le dessus sur le rationnel. Un morceau à poil, tremblant mais debout, glaçant mais apaisant, un paradis artificiel doux et naturel, un entre-deux, dernier pallier avant les limbes. Dernier bar avant la fin du monde. Et nous. Exsangues. Tétanisés. Mais heureux. Même s’il est l’heure de solder les comptes.

Je n’ai pas vu le soleil se coucher, je ne sais plus où j’en suis rendu de mon périple, j’ai juste envie de rouler encore, encore, des heures, jusqu’au petit matin. D’aller me poser sur un front de mer quelconque, le plus banal possible, le moins sophistiqué sera le mieux. Un café. Un double. Snap, Gala ou Ace of Base dans le juke-box du bar. Ou alors un de ces nouveaux rois de la pop’n’b. Je m’en fiche. Je veux juste que ce moment dure toujours. Que ma vie soit un cliché.


© Matthieu Dufour


PS : le nouvel album de Rémi Parson n’est pas encore terminé, il s’agit donc d’une chronique totalement imaginaire… Désolé Rémi !


 

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