Tobe Hooper (1943 – 2017).

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Autre temps, autre monde. Au début des années 80, l’arrivée du magnétoscope bouleversait et modifiait la cinéphilie à construire des mômes que nous étions. Auparavant, dans les salles obscures, l’inimaginable nous était d’emblée refusé (interdit au moins de 13 ou 18 ans), et même la compagnie des parents ou des sœurs ainées ne parvenait à calmer le mot d’ordre de l’ouvreuse grincheuse. Là, tout changeait : principalement scindés en deux catégories (comédie et horreur), les vidéo-clubs proposaient (pour 25 francs la K7) tous les titres dont des journaux tels que Starfix, L’écran fantastique et Mad Movies nous régalaient de leurs commentaires et photos chocs. Époque bénie qui nous voyait, en deux semaines à peine, enquiller Zombie, Suspiria, Halloween et L’au-delà. Le paradis à portée de main pour un gosse avide d’horreur !

Un titre dépassait néanmoins tous les autres en termes de mythologie, de censure et de scandale : Massacre à la tronçonneuse. Qu’en attendais-je alors ? Probablement un bain de sang avec membres amputés et geysers d’hémoglobine (les rumeurs incitaient à l’imagination). Or, pas du tout ! Fonctionnant à l’implicite, Massacre se concentrait sur une autre forme d’horreur, finalement bien plus radicale et terrifiante : le cauchemar ne pactise jamais avec le surnaturel, au contraire se conçoit-il jusqu’à l’identification. Car avec ses images granuleuses, ses adolescents apeurés et ses humains cannibales (sous-entendu, là encore), le film de Tobe Hooper proposait une horreur inédite qui n’en passait jamais par le songe mais par le rationnel, le plausible. De nombreuses théories ont depuis été écrites sur ce chef-d’œuvre. Personnellement, j’en suis toujours resté à ma première impression : Massacre décrit le calvaire sans fin d’une jeune WASP plongée dans les tréfonds d’une Amérique régressive, rejetée, malade d’elle-même. Contraste saisissant entre une jeunesse équilibrée et la faune ancestrale peuplant ce recoin du Texas.

Je dois à Hooper, Romero, Carpenter, Craven et Argento la découverte d’une notion qui allait m’aider à comprendre le cinéma : la politique des auteurs. J’ai depuis changé mon fusil d’épaule, mais, au début des années 80, c’était saisissant : découvrir Halloween puis Assaut (de Carpenter) obligeait à voir tous les films de cet auteur. Idem pour Argento et Romero. Dans le cas de Tobe Hooper, c’était moins simple…

Après Massacre, avec logique, j’ai loué tous les Hooper disponibles : Poltergeist, Le Crocodile de la mort, Massacre dans le train fantôme. Il était difficile de reconnaître une patte Hooper (là où Carpenter possédait des bandes sonores identifiables, Argento des lumières psychés, ou Romero un goût prononcé pour l’anthropophagie). Ce n’était pas vraiment des histoires de tronçonneuses, bien que de sacrés bons films. On y repérait une attirance pour les climats moites et cagneux, un jeu autour de la notion de masques et de ce qu’ils dévoilent (plus le masque est horrible, plus le visage l’est encore), une fascination pour le parc d’attractions et toutes les peurs liées à l’enfance. Pas étonnant que Spielberg collabora avec Hooper pour la confection de Poltergeist : le père d’E.T. savait bien que si un seul cinéaste au monde pouvait dévoiler à l’écran l’envers féerique des banlieues chères à son univers, c’était bien l’auteur du Train Fantôme.

J’ai loupé Lifeforce en salle au moment de sa sortie (vu en vidéo l’année suivante). Dans la presse, on parlait d’un pacte diabolique entre Hooper et les moguls de la Cannon (Menahem Golan et Yoram Globus, au sommet d’une gloire éphémère). Hooper, semblait-il, avait signé un contrat de trois films dont le dernier concernait rien moins qu’une suite à… Massacre à la tronçonneuse. Sans final cut. Et c’est peu dire que Lifeforce ne déchainait guère l’enthousiasme. Le critique hésitait entre la parodie volontaire et le bordel suicidaire. Le film, il est vrai, entrelaçait des effets cheaps (très 50’s) à des trucages optiques parmi les plus éblouissants de l’époque, il pompait Alien pour mieux dévier vers une histoire de vampires de l’espace. Aujourd’hui, Lifeforce conserve un charme, une naïveté qui manque à notre époque. Un film de cinéphile nostalgique.

Par contre, avec L’Invasion vient de Mars (deuxième commande Cannon, vu en salle lui), la presse entonna une mise à mort Hooper. Remake des Envahisseurs de la planète rouge (bon film réalisé en 53 par l’assez oublié William Cameron Menzies), la modernisation hooperienne plongea dans l’hilarité tous les critiques d’antan. Un peu injuste : si les apparitions des martiens sont assez grotesques, si le final (avec l’arrivée des militaires) ressemble effectivement à un fuck off qu’adresse Hooper à l’égard de ses commanditaires, toutes les séquences montrant la possession des parents et la solitude de leur enfant restent assez flippantes et intimes.

Massacre 2, lui, c’était une autre paire de manche. Projet (on l’imagine) très personnel pour Hooper, le film fut logiquement détruit au montage par la Cannon. Jamais Hooper n’en cacha son immense frustration. On peut même avancer que la bérézina liée à cette suite plongea son cinéaste dans une grande période de désillusions artistiques. Pourtant, Massacre 2 reste un bon film : si les rapports psychologiques entre Lefty (Denis Hopper) et Stretch (Caroline Williams) manquent de consistance (de nombreuses scènes furent coupées au montage), Hooper revient fureter vers le motif du parc d’attractions, il accentue l’humour noir du Massacre originel et se permet de refaire la scène du grand-père avec son marteau. Pas suffisant pour convaincre le public et la critique de 86 : le film s’accueille avec une moue blasée ; et plus grave, Hooper s’offre un troisième échec commercial en trois ans.

Les années sombres commencent ici. Inversement à Craven et Romero (qui subirent également de terribles échecs commerciaux avant de rebondir), Tobe Hooper ne reprit jamais pied. Il tourna pour la télévision (avec quelques sommets pour la série Masters of Horror), mais ne trouva plus vraiment son compte dans le cinéma. Il y a de belles choses dans The Mangler et Mortuary, même si l’on sent que Hooper fait de son mieux pour donner consistance et atmosphère à des scripts indignes de son talent (jusqu’à parfois ne rien faire du tout dans le cas du téléfimesque Crocodile).

D’où cette idée stupide : Tobe Hooper, l’homme d’un seul classique. Revoyez Le Crocodile de la mort, Massacre dans le train fantôme et même Massacre 2. La tragédie hooperienne ne tient justement qu’à son trop classique Massacre à la tronçonneuse : pour beaucoup, il n’y a rien derrière.

Impossible de ne pas conclure sans citer la plus belle révérence jamais adressée à Tobe Hooper : Les territoires interdits de Tobe Hooper, ouvrage passionné de Dominique Legrand sorti en début d’année chez Playlist Society. L’auteur, dans un style concis et amoureux, revient sur des thématiques hooperiennes telles que la notion de temporalité, le conte de fée ou l’apport humoristique. Un livre décisif, et qui ne se limite aucunement à Massacre à la tronçonneuse, pour vraiment comprendre en quoi Tobe Hooper était l’un des auteurs parmi les plus importants du cinéma américain des années 70 puis 80.


© Jean Thooris


Les territoires interdits de Tobe Hooper – Dominique Legrand chez Playlist Society