LOU – FGO-Barbara – 22 novembre 2018.

Il y a des artistes qui accompagnent le bruit d’une époque, épousent ses humeurs, sont dans l’air du temps, tels des surfeurs apprivoisant la vague. Il y en a d’autres qui précèdent les événements, annoncent la fureur et les cris, tels des augures implacables. Et puis, il y a ceux qui ne répondent à aucune logique temporelle, à aucune logique tout court. Ils sont, c’est tout. Et c’est déjà tellement. Ils étaient là avant que nous apprenions à vivre, ils seront encore là quand nous aurons échoué. Avec quelques notes, quelques mots chuchotés, psalmodiés, avec quelques pas de danse, un mouvement de poignet ou une paupière mi-close, ils arrêtent le temps. L’espace d’un instant chaviré, ils le mettent entre parenthèses, jettent un voile de soie sur le chaos du monde, suspendent notre fuite en avant. Ils ravivent les plaies en même temps qu’ils apaisent les doutes, ils consolent sans vraiment rassurer, mais ils sont surtout la preuve que nous sommes encore en vie. Parfois même envie.
LOU est de cette trempe et en a encore fait la démonstration en moins de trente minutes sur la scène de FGO-Barbara jeudi soir dernier. Elle chante, Mahut joue et Hervé Lebeau vit les morceaux éternels de son dernier album qui s’incarnent ainsi en autant de dimensions qu’ils en recèlent. Remontent à la surface les coeurs serrés et les émotions troubles provoquées par les danseurs de Sankai Juku ou les images en noir et blanc du Sang d’un poète. Même sidération épidermique. Même frénésie émotionnelle contenue. Ne refusant jamais les silences, ne luttant pas contre les souffles parfois contraires, n’imposant jamais, laissant nos fantasmes et nos émois s’enrouler autour de ses boucles hypnotiques tel ce voile immaculé qui épouse ses tourments, LOU nous guide vers des territoires (é)perdus, un entre-deux mondes secret, une clairière cachée au milieu de la plus sombre des forêts où les réfugiés poétiques peuvent venir s’abandonner sans peur.
C’est terriblement beau, terriblement fragile, terriblement éphémère. Et pourtant, nous le savons, malgré les portes ouvertes, ces courts instants viendront rejoindre les précédents, encrés dans les chairs et les âmes de tous ceux qui communient ce soir à la source de cette élégance humble et pourtant souveraine. Indélébile beauté. Parfois j’imagine, LOU doit se demander : « mais à quoi ça rime tout cela ? ». Puisse-t-elle être convaincue que tout ce que nous recevons dans ces moments partagés n’a vraiment pas de prix. C’est simplement essentiel.
© Matthieu Dufour
« ..et c’est parce qu’il n’affronte là qu’une absence, que le corps est là, comme ce qui rend présent le monde. »
Ushio Amagatsu