Chronique – Accident – Dernier Voyage (EP).

 


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Alors que l’hiver traine encore sa misère grise dans les parages, semblant éprouver une certaine jouissance sadique à faire durer son plaisir, tandis que le soleil blagueur débarque parfois telle une fake news vite démasquée, même par le plus flemmard des journalistes, je plonge une fois de plus, et sans grande conviction, dans les méandres de la boite mail de Pop, Cultures & Cie à la recherche d’une émotion, même minime, un déclic qui à défaut de me faire vibrer pourrait au moins me donner envie de mettre le nez dehors.

Mais dans le flux de messages rien de bien nouveau : du flow pas toujours fluide, des chanteurs-euses prétentieux-euses revendiquant quelques clés ou un coup de cœur magique, une dizaine de trucs surestimés dont je me demande encore pourquoi ils ont tenu à tout prix à sortir un disque, le contingent habituel de français qui singent en anglais des références dont ils n’auront jamais la fraicheur ni le talent, la dernière sensation cheesy-revival-pop-soul qui « va étonner le petit milieu étriqué de l’indie », le dernier petit prodige de l’électro déniché par l’IA d’Apple, le nouveau-nouveau Bashung. La routine en somme.

Comme souvent, l’éclaircie viendra de Jean T, qui, s’il s’illustre sous les traits du chanteur possédé des électriques Summer, n’en reste pas moins un esthète ès-pop, et de ce fait l’un de mes fournisseurs officiels de cette musique légère et grave tant elle sait épouser mes humeurs depuis si longtemps.

Dès les premières notes du nouvel EP d’Accident, Dernier Voyage, les rassurantes et mélancoliques effluves salines de quelques étés anciens remontent à la surface à la marée montante. Flashback. Carnac 88, Armelle, Olivier, et les autres. Flashback. Port-Camargue 85, Karyne, Cathie, Olivier et les autres. Danser dans ces denses effluves de gin et de vanille, boire, cloper, chialer, tomber, comater. Dès les premières notes, des fourmis dans les jambes. Deux ou trois chansons plus tard, sourire à l’idée de me vautrer sur le sable ou dans l’herbe pour regarder les étoiles dans l’espace infini. Montée de sève, l’envie soudaine de sauter dans la R9 Bordeaux garée en bas de ce studio où je n’habite plus depuis bien longtemps et de foncer direct sur la côte, radio K7 à l’arrière, Taxi Girl ou Indochine dans les oreilles. Dans un sac, jetés en vrac : un flacon d’eau de toilette de grand, quelques tenues triées sur le volet pour les soirées en plein air (comme ce débardeur jacquard ou ce polo rose), une flasque pleine d’un gin bas de gamme et une cartouche de Chesterfields Rouges. Il y a dans l’air encore frais comme des pulsions de drague malhabile, de tubes dansants, de désirs inassouvis, de fins de soirées à refaire le match à coup de « et si.. » ou de « tu as vu comme elle… », des humeurs de fin de saison. S’asseoir et trainer sur ce banc. La regarder partir avec un plus beau, un plus grand, un mieux habillé.

Qu’est-ce qui fait qu’au milieu de tous ces trucs qui se ressemblent, de tous ces morceaux qui n’éveillent en moi aucune envie, aucune émotion, malgré les critiques dithyrambiques et enflammées de la fine fleur de la critique musicale, qu’est-ce qui fait que cet EP aura déclenché quelques minutes de rêveries estivales, de voyages immobiles et un franc sourire ? Je n’en n’ai aucune idée et c’est tant mieux, demain il sera temps de post-rationnaliser. Demain il sera temps d’assumer mon goût pour les synthés cheaps, la space pop et la ligne claire, les guitares gazouillant comme des hirondelles ou un lien de parenté avec les Aline. Pour le moment, j’ai juste envie de chantonner en yaourt et de me trémousser sur Dernier Voyage, Sur La Route ou Oh Amalia. J’ai enfin envie de lever ma carcasse ankylosée par tous ces excès de junk food pour voir si dans la rue il y a des gens qui se baladent sans raison et des amoureux qui se souviennent. J’ai envie d’amour, de gloire et de beauté.

Un EP addictif pour attendre l’été bien au chaud avec ces tubes à l’énergie communicative, cette pop fraiche et directe, délicate et joyeuse, sincère avec juste ce qu’il faut de distance pour rester en équilibre sur le fil du rasoir d’un printemps encore en embuscade. Alors que je galère depuis des mois à tenter de parler d’albums qui ne m’inspirent pas plus que cela, je me dis que c’est bon de retrouver la fraicheur et la spontanéité des débuts : quelques chansons écoutées en boucle, une envie cosmique, une chronique. Déjà vu, déjà fait, mais tellement bon.


© Matthieu Dufour



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