The Pistachio Kid – Sweet Remedies.
Autour d’elle, tout n’est que bruit, fureur et désespoir. Deux semaines déjà qu’elle marche pour fuir les gigantesques incendies qui remontent du Sud et ravagent la péninsule gagnée à son tour par le chaos et frappée par la colère des dieux païens. Des grappes de gens en haillons viennent grossir la cohorte des réfugiés à chaque carrefour. Le vrai problème c’est l’eau. Celle de la rivière qui longe la route charrie son lot de corps d’animaux morts. Il n’a pas plu depuis des mois. Les rares sources sont prises d’assaut et des gens meurent pour quelques gouttes d’un liquide brunâtre et pollué. Depuis plusieurs jours déjà, elle décidé de quitter la route principale pour traverser ce qui reste de la forêt. Quitte à y passer, autant s’éloigner de toute cette laideur et trouver un peu de quiétude.
Épuisée par ces vingt heures de marche non-stop elle s’est endormie au pied d’un baobab millénaire. Quand elle se réveille, il fait encore ou déjà nuit. C’est l’impression d’une mélodie qui l’a tirée de sa léthargie ensuquée. Le bruit lointain de quelques accords étranges, les échos vaporeux de voix qui chuchotent. Telle une somnambule, elle trace sa route à l’aveugle entre les racines desséchées d’arbres exotiques et les restes d’une carcasse d’avion envahie par la végétation. Plus elle se rapproche de la musique, plus son impression se confirme : il y a encore de la vie quelque part au milieu de ce labyrinthe touffu. Elle n’a pas marché en vain.
Elle aperçoit quelques points lumineux, des cigarettes de l’ancien temps probablement. L’odeur acre et irritante parvient maintenant jusqu’à elle. Elle se tend quand elle sent des regards qui se tournent vers elle. Mais aucune hostilité ne se dégage de ces ombres qui semblent même l’accueillir avec bienveillance. Ils éteignent leur cigarette sur un rocher puis lui font signe de la suivre dans ce qui ressemble à une grotte végétale. La musique se fait plus précise. Elle devient limpide, harmonieuse et diffuse dans l’air comme un apaisement partagé.
C’est alors qu’elle le voit, au milieu d’un halo.
Il est là, avec ses beaux cheveux bouclés et son visage d’adolescent égaré, ses frusques débraillées et son sourire juvénile. Il est là, rêveur comme un gourou folk trônant modestement au milieu d’un cercle de poètes retrouvés. Ses yeux passent de l’un à l’autre de ses auditeurs avant de se perdre dans le ciel végétal de cette étrange salle de concert, implorant les esprits du folk d’antan de continuer à veiller sur lui. Il semble né pour partager sa musique avec le monde entier. Même les plus aigris des êtres humains encore en vie. Il émane de lui une grande bonté qui se diffuse et s’enroule autour des corps blessés et entaillés. Quand il chante, il irradie de beauté et de sincérité, habité par toutes ces histoires qu’il a encore à raconter. Les regards sont fixés, comme hypnotisés, sur ses doigts qui virevoltent et multiplient les figures acrobatiques sur les cordes entamées de sa vieille guitare. Ils retiennent leur souffle, ne cherchant pas à deviner où ses compositions vont les conduire : ils veulent retrouver le plaisir de la première fois, du premier choc, le plaisir de se faire cueillir par la surprise d’une suite d’accord singulière ou d’harmonies d’un autre temps. Multipliant les ponts entre les musiques, la simplicité apparente de ses chansons s’avère incandescente tant elle donne à ces âmes égarées et à ces êtres épuisés l’impression de revivre. N’hésitant pas à teinter son folk lumineux d’accents hispaniques ou d’intonations primitives, celui dont elle connait maintenant l’étrange nom (The Pistachio Kid) enchaine les morceaux avec la grâce intense et déliée d’une ballerine un soir de première. Autour de lui les yeux s’embrument, les peaux frissonnent, les corps se serrent et s’imbriquent, les silences repoussent l’idée même qu’ils puissent être mortels.
Ces chansons réveillent en elle le souvenir de ses vies d’avant. Elle ferme les yeux et se laisse bercer. Elle qui pensait avoir tout mis de côté pour ne pas trop souffrir… La voilà sautant sur le lit maternel lors de l’une ces parenthèses rieuses d’un dimanche matin au bord de la mer. La voilà assise par terre un long soir d’été à écouter les vieux disques d’un père parti à l’aventure au bout du monde. La voilà insolente, faisant les 400 coups et intimement persuadée que tout est encore possible. Elle est saisie par ces doux remèdes.
Comment peut-il bouleverser autant avec si peu de moyens ? Comment a-t-il trouvé si facilement le chemin de son cœur enruiné ? Comment la douceur peut-elle posséder autant de force en elle ? Elle pense aux troubadours, ménestrels et autres griots dont elle a lu les histoires dans d’antiques codex. Elle est émue de voir tous ces gens communier à la source d’un esperanto mélodieux à la pureté encore intacte et pourtant déjà fragile. Elle se dit que finalement tout n’est peut-être pas foutu. Que tant que des magiciens comme The Pistachio Kid ont encore la force d’écrire, de composer et de chanter de telles merveilles, il faut rester debout pour les remercier et porter leur bonne parole partout aux alentours.
Alors demain elle reprendra la route.
Le coeur gonflé de vie et le corps léger.
Et l’envie de partager à nouveau la beauté.
© Matthieu Dufour
Après une première brillante signature (Studio Electrophonique et le somptueux Buxton Palace Hotel), Sweet Remedies de The Pistachio Kid est de deuxième elp de Violette Records. Sortie le 24 janvier.