Cocteau, l’enfant terrible (Rivière/Mattiussi).

Dans mon Panthéon culturel, Jean Cocteau occupe une place à part, peut-être bien la plus haute. Poète total, incapable de se limiter à un genre, à un art, tour à tour romancier, cinéaste, dessinateur, adulé par certains pour cette faculté à travailler la poésie sous toutes ses formes, raillé par d’autres pour ses excès, ses mondanités et un côté touche-à-tout pas toujours cohérent avec les certitudes de ses contempteurs, Cocteau reste l’auteur d’une oeuvre peu commune, le père de chefs-d’oeuvre éternels comme Le Sang d’un poète, Les Enfants terribles, La Belle et la Bête, l’autobiographique Le Livre blanc et le pygmalion d’autres artistes incontournables (Radiguet, Jean Marais, …).
J’étais donc un peu perplexe avant d’ouvrir cette BD, me demandant bien comment les deux auteurs allaient pouvoir rendre compte d’un tel talent en quelques pages. Pourtant dès les premières cases, il est évident que le pari est largement gagné. En entremêlant échappées oniriques et repères biographiques, en n’oubliant aucune des dimensions du poète, ni ses bons mots, ni ses erreurs, ni ses errances, en alternant fulgurances graphiques et récit, Laureline Mattiussi et François Rivière arrivent à capturer l’essence singulière et poétique de cet artiste hors du commun (au sens propre). On retrouve notamment dans ce livre la dimension spirituelle et surnaturelle, quasi-fantomatique qui traverse l’oeuvre de Cocteau, ce rapport intime aux mythes, à d’autres mondes étranges, d’autres réalités puissantes, d’autres univers inconnus du commun des mortels.
Évidemment le format ne prête pas à l’exhaustivité, mais ce n’est pas l’objet, et les fans plongeront avec délice dans cet ouvrage dont les dessins semblent parfois s’être échappés des brumes opiacées si chères, et si douloureuses à Cocteau. Il faut vraiment souligner le merveilleux travail de la dessinatrice, avec un trait puissant et fortement évocateur que ne renierait probablement pas le sujet du livre. Quant à ceux qui ne pratiquent Cocteau que le loin, ils pourraient bien avoir envie d’aller plus loin. En lisant par exemple l’excellente biographie de Claude Arnaud chez Gallimard ou en replongeant dans l’oeuvre protéiforme de cet artiste incroyable.
Chapeau.
© Matthieu Dufour