Revolutionary of the Infant Jesus – Songs of Yearning et Nocturnes.


Un événement musicosmique rare et d’une beauté à couper le souffle est passé relativement inaperçu à la fin de ce printemps confiné, alors que la période était pourtant propice à ces incantations bienveillantes et à ces psalmodies hypnotiques. En juin 2020 après Jésus-Christ, la comète RAIJ (Revolutionary Army of the Infant Jesus, un nom emprunté à Cet obscur objet du désir de Bunuel) a de nouveau approché la terre-à-terre pour y lâcher, non pas une, mais deux preuves audibles de son existence et de son passage dans notre ciel menaçant : les merveilleux Songs of Yearning et Nocturnes (Occultation Recordings).

Choc esthétique saisissant, au propre comme au figuré, la musique (le mot même de ‘’musique’’ semble parfois un peu réducteur pour décrire la grâce qui irradie de ces morceaux comme venus d’une autre réalité) de l’une des entités les plus mystérieuses des rives de la Mersey m’avait jusqu’ici échappée. C’est ainsi, au cours de leur vie, certains ne verront jamais d’arc-en-ciel lunaire ou de mirage. Le choc est probablement d’autant plus fort qu’il était totalement inattendu.  

Gravitant autour de notre soleil selon sa propre logique, son propre agenda, semblant défier les lois astrophysiques les plus élémentaires, devant gérer des perturbations gravitationnelles régulières qui modifient la période de son orbite elliptique, RAIJ s’était pourtant déjà frotté à notre monde à plusieurs reprises avec des albums tous plus fascinants les uns que les autres : The Gif of Tears (1987), Mirror (1990), et plus récemment Beauty Will Save the World (2015).

Mélange envoutant de mantras psychédéliques et de cantiques folk, de samples médiévaux et d’inspirations sacrées, de bruitages collectés et de ritournelles traditionnelles, tour à tour romantiques, dark, industrielles, sombres et légères, les chansons de RAIJ n’en sont peut-être même pas. Elles transcendent des siècles de mystères soniques et d’harmonies pour livrer des disques qui vous surprennent à chaque coin de morceau. A une époque où tant de recyclages musicaux finissent dans les corbeilles de nos ordinateurs, ou l’effet de surprise est anéanti par la flemme des artistes, un goût discutable pour le marketing ou les 256 teasers qui précèdent le moindre titre clipé sur YouTube, le mystère de ce collectif est aussi précieux que jouissif.

Préfigurant un monde d’après envahi de virus, sans concerts, un monde où les derniers exemplaires d’une presse musicale sans idées pourrissent au fond d’un jardin mazouté, les RAIJ sortent peu de chez eux, ne se livrent presque pas. Ils semblent se contenter de faire leur musique. Sans avoir envie de l’expliquer de peur de briser son mystère. Mais c’est déjà tellement. Comme attachés à retrouver, à exhumer, à rassembler des bribes du passé, tous ces morceaux de mélodies d’une humanité évanouie, toutes les traces de ces sons disparus avec leurs mondes engloutis. Tels des alchimistes, ils recréent une matière nouvelle à partir de ces lambeaux de foi perdue, sublimant le tout dans un ensemble majestueux, à la fois ésotérique et pourtant harmonieux, accessible, confortable.

Je ne sais pas si leur musique est sacrée, mais c’est une sacrée musique. Je ne sais pas si je réussirai à vous convaincre d’aller écouter ces merveilles absolues que sont Celestine, Miserere ou encore Songs of Yearning, mais je sais que leur chants profonds et vibrants ne me quitteront plus jamais. Je sais que je serai hanté toute ma vie par ces mots en anglais, en français, en russe et je ne trop quelle autre langue. Je n’avais pas été sous le coup d’une telle émotion depuis longtemps. Deux albums qui se traversent comme un songe, intensément, entre étrangeté et familiarité.

En ces temps où les ténèbres semblent destinées à régner sur la terre encore quelques années, la lumière surréaliste qui émane de ces antiennes mystiques me rassure et m’apaise. Elle ressemble en fait à cette fameuse lumière qui vacille au bout du tunnel. Légère, éthérée mais bien vivante. Semblant indiquer un autre chemin. Une autre voie. Une voie avec issue.

Comme un possible salut même.

Gratitude éternelle à Occultation Recordings et Revolutionary Army of the Infant Jesus pour ces intenses instants de grâce et de plénitude. Deux albums d’un coup, pour le coup c’est assez miraculeux.


© Matthieu Dufour


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