Blutch – Terre Promise.

Telle Excalibur, le rayon blanc jaillit de la roche, au milieu de ce paysage saturé de couleurs et qui se prolonge au verso de la pochette. Un coin de Bretagne comme il en existe au Nord. Un bout de terre qui tombe à pic dans une mer qui s’embrume à l’horizon. Une typo et un titre qui semblent surgir du passé. Il y a un peu de magie dans ce visuel qui confronte tradition et exploration, convoque passé et présent, marie minéral et végétal. Nous sommes chez Blutch, en terre promise. Une terre de contrastes et de caractère qui dessine des paysages comme autant de miniatures, comme autant de tracks aux humeurs changeantes, comme autant d’univers distincts, et pourtant reliés entre eux par une atmosphère, un sens de la mélancolie et de la narration musicale.
IDM, electronica, house, peu importe finalement, le producteur français est suffisamment talentueux et inspiré pour s’affranchir des sous-genres et nous offrir une musique qui voit bien plus grand, bien plus loin. Mélange des genres sans confusion, fusion sans scission, enchevêtrement d’émotions sans concessions, les pistes se suivent et s’assemblent comme un puzzle panoramique et poétique qui fait la part belle aux sensations enfin retrouvées. Telle une série Netflix imaginée par un scénariste diabolique, chaque morceau est une espèce de cliffhanger qui nous attire irrémédiablement vers le suivant pour découvrir ce qu’il nous réserve comme surprise, nous tenant en haleine tout au long de ces 12 pistes impeccables.
Si Terre Promise se déguste idéalement dans ces moments de rupture, de changement, de passage d’un état à l’autre, que ce soit une aube sur la lande ou un crépuscule dans une crique, un solstice païen ou un équinoxe automnal, une fin de soirée ou de saison, l’album épouse la moindre variation de nos humeurs quotidiennes, embarquant nos âmes pour un voyage immobile dont on n’aimerait qu’il ne connaisse pas de fin. Refusant de choisir entre jour et nuit, entre langueur et euphorie, entre introspection et communion, entre ciel, terre et mer, entre départ et retour, Blutch nous propulse dans un futur proche. Un futur où nous serions débarrassés de nos oripeaux factices et de nos antiques postures, un futur où nous recommencerions à nous parler, à nous regarder, à nous toucher, à nous émerveiller, à nous enthousiasmer. Avec Terre Promise, Blutch délivre l’un des albums électro post-confinement les plus emballants (un pendant français crédible du superbe Isles de Bicep) et nous promet qu’il reste encore de nombreuses et vastes terres à découvrir, à arpenter.
© Matthieu Dufour