Gelatine Turner aux Déchargeurs

Hier soir, en route pour Les Déchargeurs où je retrouvais l’ami Nesles pour assister au concert de Gelatine Turner, j’écoutais une fois encore « Cheyenne Autumn », happé par ses bruits de nature et d’eau qui coule. C’est donc avec une certaine confusion que je fus rapidement saisi pas les ambiances, les sons et les bruits sortant des machines de Pierre Audoynaud. Il y avait comme une continuité légèrement incongrue. Et puis Romain, dont le charisme est indéniable, s’est mis à parler, à déclamer, à chanter, à bouger, à nous regarder dans les yeux. Nous étions partis pour un voyage dont il était difficile de déterminer s’il était spatial ou temporel, aérien ou maritime. Immergés dans le monde mystérieux de Gelatine Turner, nous étions balancés malgré nous, comme dans un cocon, nous étions soulevés, projetés dans un univers poétique et hypnotique. Tel un foetus bien au chaud dans le ventre de sa mère nous nous nourrissions de leurs envies et de leurs visions, de leurs émotions et de leurs rêves, de leurs aubes et de leurs marées. Nous étions bien. Vraiment bien. Je vais être honnête, je ne suis pas du genre à lâcher prise, je ne sais pas faire. Trop de trucs dans ma tête, comme un flux permanent. Et pourtant, malgré moi, ma résistance s’amenuisait, mon corps ne luttait plus, mon esprit avait déjà capitulé. Lâcher prise donc. Se laisser aller. Se surprendre à fermer les yeux. Évacuer au fur et à mesure les noms qui tentent de s’incruster (Lomepal, Rimbaud, Michniak, …). Ils n’ont pas vraiment leur place ce soir. Car, si ce que font les deux frères Audoynaud rappelle ou évoque plein de choses, leur musique ne ressemble à rien de connu. À rien d’existant. Rares aujourd’hui sont les projets artistiques qui proposent quelque chose de vraiment nouveau, d’aussi singulier. Alors bien sûr, certains détesteront. Certains trouveront cela trop ou pas assez. Certains vous diront que la poésie n’a pas sa place dans la chanson. Mais ce qui est certain c’est que Gelatine Turner ne doit pas se renier, ne doit pas changer, ne doit pas revenir en arrière. Il faut au contraire continuer sur ce chemin certes escarpé, mais qui mène à des sommets d’émotions surprenantes et de sensations envoutantes. Hier soir en sortant du concert, il y a avait comme une impression de renaissance. D’avoir vécu un rêve éveillé. D’avoir accédé à des saveurs et des paysages inconnus. Et c’était vachement bon !

Et c’était tellement prenant que je n’ai même pas été capable de prendre une photo correcte…


© Matthieu Dufour