Interview – Emmanuel Tellier (49 Swimming Pools).

By Elian Chrebor

By Elian Chrebor

Journaliste (Les Inrocks, Nova, Télérama aujourd’hui) et musicien (Chelsea, Melville, La Guardia, 49 Swimming Pools) Emmanuel Tellier est aussi celui a qui l’on doit le retour du merveilleux Peter Milton Walsh (The Apartments) sur scène en 2012. Une histoire d’amitié, de fidélité et de chemin (de traverses) à tracer en toute liberté, en toute indépendance.

Cela fait des années que je suis de très près son parcours et celui de ses acolytes. L’album « Tramway » de Chelsea figure en bonne place dans ma discothèque idéale (quelques pépites comme Le mauvais perdant, Un sourire ordinaire, Sur les traces de Pat Hobby, etc.), tout comme le 3ème album qui est une petite merveille pop. J’ai vraiment adoré le virage rock de Melville qui n’avait pas beaucoup d’équivalents en France à l’époque (« Qu’importe ce qu’on dit » a beaucoup tourné sur ma platine). Aujourd’hui, les albums de 49 Swimming Pools proposent une musique colorée, sincère, des mélodies assez immédiatement évidentes portées des voies touchantes. Une coloration singulière dans le paysage musical actuel. Une forme d’artisanat pop/folk/rock précieux et délicat.

C’est donc d’abord le fan qui s’est dirigé vers le projet de financement de cette « soirée particulière » : un concert, la découverte du nouvel album en avant première et une originale expérience de « collective singing ». Ensuite Emmanuel a accepté de répondre à mes questions. Un grand merci pour son accueil.

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Emmanuel, ce n’est pas ta « première fois », en matière de crowdfunding, qu’est-ce qui t’a conduit au projet « The Apartments aux Bouffes du Nord » ?

Une amitié de longue date avec Peter Walsh. A travers toutes les époques du groupe, et même au moment de sa longue éclipse, Peter et moi sommes toujours restés en contact. Depuis des années, je le poussais à remonter sur scène. Je savais qu’en France, sa musique avait profondément marqué beaucoup de gens. Lui en doutait, mais moi j’en étais sûr. C’est devenu comme une sorte de jeu, de défi entre nous : « je te prouverai que The Apartments peut remplir des salles de concert en France, même après des années d’absence. »

Tu as CV fourni, un « réseau », des relations, et probablement d’autres choix de financement alors pourquoi avoir choisi ce mode participatif ? La volonté d’indépendance qui semble être une valeur forte du groupe ?

Oui, c’est vraiment une valeur centrale pour moi. A la fois dans le groupe, et pour tout ce que je fais, journalisme compris. Je pense qu’on ne peut vraiment exprimer des choses personnelles et intègres, faire des choix libres (qu’il s’agisse de la nature même d’un disque ou d’un sujet journalistique à traiter) que lorsqu’on se coupe de toute forme de pouvoir ou d’influence. J’ai la chance immense de bosser pour une magazine qui permet cela, et avec le groupe, nous mettons un point d’honneur à nous débrouiller seuls aussi longtemps que cela est possible.

Pourquoi sur la soirée et pas avant sur l’album par exemple ?

C’est un temps différent. Le temps de l’écriture et du studio est un moment de repli, on n’est plus que quatre, c’est le cercle le plus restreint. Par contre, pour une soirée, par exemple celle du 18 septembre, c’est vraiment le sujet : « Prenez vos places maintenant, et on se retrouvera tous le 18, et vous aurez votre disque ce soir-là, et pour fêter cette sortie, on vous apprendra le chœur d’Oceans, et on le chantera tous ensemble ». Là, la promesse sera tenue.

L’idée de la soirée est originale, trop pour être financée par une structure traditionnelle ?

Non, en l’occurrence, je pense qu’elle aurait pu l’être. Par contre, la tournée The Apartments avec le concert des Bouffes du Nord n’aurait sans doute pas pu se monter autrement, car il fallait vraiment avoir la foi, la conviction que le public répondrait présent.

A ton avis les maisons de disque, les labels voient ces modes alternatifs comme des menaces ou plutôt quelque chose de complémentaire ?

Je crois que dans les années 90 et au début des années 2000, les maisons de disques ont eu tendance à avoir peur de tout. Leur modèle économique étant mis à mal par l’essor du mp3, elles ont un peu paniqué (ce qui peut se comprendre, d’ailleurs) et ont vu le numérique comme une sorte de diable. Les choses ont beaucoup changé depuis. Une partie des « anciens » a été remplacée par des gens de 25-30 qui n’ont plus du tout cette appréhension face à la nouveauté. Cette génération-là, en effet, doit plutôt voir ces nouveaux outils de financement d’un bon œil. Tout ce qui peut permettre à des artistes d’émerger (ou de sortir du lot, de faire montre d’originalité et de conviction) est forcément précieux pour les maisons de disques, sans cesse en quête de nouvelles signatures.

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Suis-tu l’évolution au jour le jour ?

En fait assez peu.

Comment le groupe assure-t-il la promotion autour de vous de ce projet pour recueillir des contributions ?

Maladroitement peut-être, je ne sais pas… Au sein de 49 Swimming Pools, nous sommes vraiment des instinctifs. On fait les choses « comme on les sent », sans méthode, sans plan de bataille (même si on réfléchit à ce qu’on fait). Mais il y a toujours une prime à l’instinct, à l’idée qui nous excite… L’idée de la soirée est née comme ça, en se marrant. Sa promotion est donc « organique » et naturelle, et elle passe donc principalement par l’outil naturel de l’échange avec ses « amis », Facebook.

Ce choix implique d’assurer une présence forte sur les réseaux sociaux, c’est un truc avec lequel vous êtes à l’aise ? Qui gère ça pour le groupe ?

Etienne l’a fait depuis 4 ans. J’ai pris le relais depuis trois mois (pour que ça tourne un peu, et qu’il soit déchargé de ça). On le prend tous les deux comme une sorte de jeu, un truc de camaraderie à entretenir avec des gens qu’on connaît ou pas. Une camaraderie élargie, disons. Là encore, ça reste très instinctif.

Cela implique également un nouveau rapport avec le public, une proximité, parfois peut-être la tentation de leur côté d’une intrusion ?

La notoriété du groupe reste trop modeste pour qu’on soit sujets à ce type de choses. Hélas ! Ça serait marrant à « gérer », j’imagine, le fan intrusif… Mais non, dans notre cas, il s’agit plutôt d’échanges avec quelques centaines de personnes – et pas des milliers de personnes. Par contre, ce qui est vrai, c’est que nous avons un contingent de fans vraiment super sérieux, super impliqués. C’est extrêmement agréable de les avoir, et ça nous renforce dans notre conviction, notre désir de produire un travail artistique qui touche vraiment les gens, qui les accompagne dans leur vie. Donc pas une musique de l’instant, une musique de surface, mais vraiment des disques construits, pleins de vie, pleins d’émotions…

Sincèrement, je me fiche de savoir si nos disques touchent 100 000 personnes ou seulement 100 de cette manière : profonde, intime, intérieure. A chaque fois qu’une personne, une seule, me dit que c’est le cas pour elle, alors je me dis que ce que nous faisons est valide, et beau. Le premier fan est le plus difficile à gagner.

J’ai l’impression qu’à tes débuts les groupes les artistes étaient plus accessibles : ce type de projet peut-il être une façon de recréer cette proximité ?

Une chose est sûre : dans le milieu de la musique, il y a vraiment un paquet de gens qui se prennent trop au sérieux. C’était beaucoup moins le cas dans le petit univers du label Rosebud auquel nous appartenions au début des années 90 – mais tous les groupes signés par Alan et avec qui nous tournions à l’époque étaient comme nous : des gamins qui pensaient juste à s’amuser .

Ensuite, le « business » s’est développé, et j’ai croisé un sacré paquet de chevilles enflées… (dans les labels comme dans les groupes, ou chez les managers, les tourneurs).

C’est sans doute un peu moins le cas aujourd’hui, Twitter (surtout) et Facebook (un peu) étant des outils qui obligent (si on joue vraiment le jeu) à une forme de proximité, de disponibilité.

Comment déterminez-vous les contreparties ?

En se mettant à la place de la personne qui sera amenée à faire son choix. Il faut quitter ses habits de musicien et savoir redevenir fan (ou simple curieux d’esprit). Il faut se dire : de quoi aurais-je envie, moi ? Et de quelle manière aimerais-je qu’on s’adresse à moi ? Sur quel ton ? Dans quel état d’esprit ? Toutes ces questions sont hyper centrales pour nous.

Pour finir, pourquoi Ulule ?

J’aime le graphisme du site, je le trouve élégant. J’aime leur façon d’éditorialiser, d’accompagner les projets. Ce sont vraiment des amoureux de culture, d’innovation sous toutes ses formes, et aussi des gens qui ont un passé solide sur Internet. Ce sont des gens concrets, efficaces, et vraiment intelligents dans leur façon de faire (je trouve !).

Merci Emmanuel !

Aujourd’hui, le projet est financé à hauteur de 46% et il reste 47 jours.

Pour plus de détails sur le projet et contribuer c’est ici :

 Come sing with us ! 

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Cet interview, comme celle de Frank Darcel,  fait partie d’un projet global destiné à la fois à mieux comprendre pourquoi des artistes chevronnés font appel au crowdfunding mais aussi à faire vivre des projets de l’intérieur.

A lire mon billet sur le sujet sur cet autre blog.

En attendant la suite, découvrez « Oceans », la chanson d’ouverture du futur album…

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