Chronique – Alma Forrer (EP).

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Chère Alma,

J’ai mis si longtemps à vous écrire. Je n’osais pas je crois.

Timidité maladive, peur de briser la magie de vos accords tremblés, terrifié à l’idée de rompre ce fil de soie qui relie votre voix chavirante à mon cœur cabossé, exaspérante lenteur de mes humeurs mouvantes.

Et puis les réminiscences du passé décomposé, moins que parfait, de cette adolescence rêveuse, blême, cette impression permanente de décalage dont j’aperçois parfois l’ombre trébuchante derrières vos mots noués. La fâcheuse conscience de mon incapacité à traduire avec simplicité les émotions vertigineuses de cette musique en état de grâce, en équilibre impossible. Ces émois de l’intérieur, cette intimité subitement dévoilée, ces rougeurs sur nos joues fraiches.

À l’heure où tout file, il est probablement trop tard, peut-être même vain de vouloir revenir sur ces morceaux d’hier alors que vous êtes déjà dans l’après. Difficile parfois d’être en harmonie avec la vitesse permanente d’une époque définitivement échappée. Mais il y a ces quatre pierres rares, délicates, humbles, précieuses.

Tant pis, oublions cela. Faisons comme si le temps n’existait pas vraiment. Comme si hier était demain. Et que le prochain départ n’était qu’un retour à soi. Cette séparation des retrouvailles.

Quand je ferme les yeux bercé par votre voix renversante, j’entends le chant des âmes au loin, les chœurs de ces enfants de l’amour et du chagrin, oui, les paupières baissées je me souviens et je me rends compte que je n’ai rien oublié : ni les tâches de rousseur, ni les heures frêles des matins de mai, ni les mots encrés sur sa peau. Non je n’ai pas oublié les aubes basculées, ni les sauts dans le vide, ni les roses envolées, ni les falaises de craie. Non je n’ai rien oublié : aucun rocher, aucune apnée, aucun départ, aucune ombre du passé, aucun mur tombé, ni les renoncules, ni les livres que nous lisions. Alors oui bien sûr, parfois je me demande ce que sa bouche embrasse, où ses mains trépassent, mais il y a toujours dans l’air vibrant l’écho lointain de ces âmes éperdues, hantées par l’envie, gâtées par la vie.

Ce soir, en vous écoutant Alma, je veux croire à la pureté de ces âmes cœur, à la bonté de ces âmes sereines. Même si je le sais : pour vieillir ensemble, il faudra bien se quitter un jour. Mais ce soir, il n’en n’est pas encore question.

Alors une fois encore, je rêve au train où vont les choses, au rythme où basculent les roses : vous le savez aussi Alma, il n’y a qu’en songe qu’elles fleurissent sans pause. Alors oui je rêve au goût des autres. Et aux promesses des aurores vaporeuses. Je pense aussi au rythme où ma prose inconséquente vous inonde, à ces quelques grains d’espoir qu’au creux de mes mains vos chansons déposent. Car au train où vont les choses, un brin d’envie fébrile se propose : les attraits subtils de toutes ces petites choses du quotidien, de tous ces petits riens essentiels, de ces vérités de l’instant bercé par la douceur d’un amour effleuré, d’une promesse égarée, d’un regard incertain, d’une douleur évanescente.

J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’avoir tant trainé Alma, ni d’avoir digressé ainsi, mais il est si bon d’aimer votre musique. Je ne peux pas vous promettre d’être plus prompt la prochaine fois, mais je veux bien essayer.

Sincèrement,

Matthieu Dufour


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