Chronique – Flegmatic – L’esprit de conquête (Mostla Tape).

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Cher Flegmatic aka Monsieur Boudineau (si tel est bien votre véritable nom),

Dimanche 22 février, à peu près à l’heure de l’apéro, j’attendais sagement l’arrivée d’Orso Jesenska, de ses chansons vibrantes de beauté et de sa guitare. Alors imaginez ma surprise de vous voir débarquer avec votre trombone et un copain anglais dans ce sous-sol pas très net de l’Olympic Café. Je crois bien que j’en ai renversé un peu de ma pinte. Un trombone ! Sérieux, pourquoi pas un saxophone pendant que vous y êtes ? Ou un hautbois. Pas étonnant que les Américains, peuple généralement bien informé par la NSA, peuple lucide et intraitable en matière de sécurité, aient décrété ce quartier No-go-zone. Et en même temps, j’aurais du me méfier, avec les autres zazous de La Souterraine il faut s’attendre à tous lors de ces messes noires occultes, ce rituel dominical peu catholique. Bref. Je préfère vous prévenir d’emblée que je ne suis pas dupe une seule seconde de vos manigances.

Oh oui bien sûr, vous êtes éminemment sympathique avec votre tête de gendre idéal, votre coiffure de bon pote toujours prêt à rendre service, avec votre sourire enjôleur accroché aux lèvres, ce regard rieur, et vos blagues. Mais moi je sais. Je sais que derrière votre air faussement nonchalant, la façade de cette attitude vaguement dilettante, se cache un redoutable sadique sanguinaire, un bourreau sauvage et sans pitié, un tueur à gage intraitable, un samouraï au sang glacé. Un mec à qui la mise à mort ne fait pas peur, qui ne tremble pas devant le taureau. Un type qui s’est juré de remuer le couteau dans les plaies béantes d’une société qui ne se rend plus vraiment compte de son ridicule (ridicule, qui on le sait maintenant de façon certaine, ne tue pas plus que la masturbation, le mensonge ou l’infidélité).

D’ailleurs, il suffit de vous écouter, vous passez aux aveux à plusieurs reprises.

Tenez, dans Béziers par exemple : « Non je ne veux pas me rendre à Narbonne, c’est une ville où c’est qu’on  y assassine des serveuses de café, éviscérées, membres dispersés, selon un rite sacré ou aucun rite du tout, sorties du coffre d’une Fiat Punto et balancées dans un trou, c’est un père de famille qui a fait le coup, entrepreneur il laissera seuls sa pondeuse catholique et leur sept ou huit enfants on ne connaît jamais vraiment les gens. » Si c’est pas des aveux ça : « On ne connaît jamais vraiment les gens ».

Et plus loin : « Quiconque touche à ma meuf se fera dépecer sur Youtube. » Ce sont des paroles pacifiques peut-être ? Vous avez l’air de toucher votre bille en médecine légiste et en chirurgie plastique. Et citer Jean-Louis Bourlanges en pleine paix ! Sacrément vicieux non ?

Vos cibles ?

Multiples et insouciantes, elle se baladent avec ce petit point lumineux rouge sur la nuque sans s’en rendre compte et continuent à trainer leurs mioches mal élevés dans les galeries commerciales en toute béatitude. Dans votre ligne de mire : vous-même, moi, ma procrastination, ma meuf, mes parents, vous-même, moi, mes renoncements, mes amours banales, branlantes et misérables, mes anniversaires ratés, et mes petits rêves de grandeur, les villes de Province où je traine le samedi après-midi vous y croisant régulièrement, la médiocrité ambiante, la chair triste, les petites lâchetés du quotidien, la violence banalisée, les descendants de Kafka (liste non exhaustive tant vous semblez être doué d’un sixième sens pour détecter la moindre faille chez vos congénères).

Vos armes ?

Une ironie largement au-dessus de la moyenne (je vous le concède c’est une discipline dont l’art se perd), une lucidité totale (ça me fout la chair de poule moi qui me trouvais clairvoyant), un sens de l’autodérision poussé, un humour noir sérieusement barré. Mais s’il n’y avait que les mots. Votre talent lexical n’a d’égal que votre fourberie mélodique : dissimuler autant de vérités derrière ces jolis airs doucement amers, ces chansons impeccablement écrites, sérieusement composées, immédiatement accrocheuses. C’est du vice reconnaissez-le. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre me direz-vous. Certes.

Malgré tout cela, je dois vous l’avouer, je suis incapable de résister à vos contes sadiques et poétiques pour adultes, à vos ritournelles vénéneuses et addictives. Tel un junkie sans volonté je m’injecte à haute dose vos berceuses à l’apparente innocuité. J’ai beau avoir vu très clair dans votre jeu, percé à jour votre véritable nature, compris votre petit manège, je suis accro à votre Mostla Tape L’esprit de conquête. Une exemplaire réussite de cette chanson française de qualité qui de Béziers à Metz en passant par Aurillac, Toulouse ou La Souterraine semble se porter comme un charme.

Pourquoi ? Parce qu’au fond je crois que ces chansons me ressemblent. Qu’elles sont baignées de cet espoir plein d’humanité qui ne nous quitte jamais vraiment. Qu’elles sont traversées par ces fulgurantes visions qui me touchent en plein coeur. Qu’elles m’obligent à ne pas perdre de vue l’essentiel. Et que moquer, narguer nos démons, nos travers, nos errances, nos erreurs répétées, ou la mort est encore la meilleure façon de tenir debout et de se faire à l’inéluctable. Il y a un peu chez vous de ce nonsense tout britannique que je chéris particulièrement, de cet humour, de ce sens de l’ironie, de la dérision. Ce flegme.

N’hésitez pas à me faire signe quand vous reprendrez l’autoroute pour venir braver à nouveau la jungle parisienne en compagnie de Peter Falk ou de Rebecca.

Flegmatiquement votre,

Matthieu Dufour


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