Fête Souterraine – 20 mai 2015 : Gisèle Pape, Facteurs Chevaux, Silvain Vanot.
Ces derniers mois j’ai passé « quelques » soirées au sous-sol de l’Olympic Café, j’y ai éclusé « quelques » bières, j’ai tenté de soutirer à Benjamin Caschera des scoops sur le tracklisting des prochaines compiles de La Souterraine, j’ai vu La Féline envouter la salle, j’ai été saisi par la transe de France, marabouté par les sortilèges de Arlt, mes oreilles ont saigné en écoutant Rhume ou Colombey, j’ai succombé au lyrisme tremblé d’Orso Jesenska, j’ai embarqué avec Pain-Noir pour les contrées imaginaires, j’ai dansé (enfin façon de parler) avec Rémi Parson ou Requin Chagrin, j’ai eu la chance d’assister à un concert grippé de Maud Octallinn, j’ai vu Le Flegmatic jouer du trombone, j’ai regardé Gontard dans les yeux malgré son masque de lapin psychopathe, mais je n’avais jamais encore versé une larme. C’est fait : merci Facteurs Chevaux pour cette nouvelle expérience.
Quelques instants auparavant, Gisèle Pape avait installé une jolie ambiance, recueillie et bien moins lisse qu’il ne parait en égrenant sur un chapelet imaginaire et païen ses chansons au minimalisme tricoté sur-mesure avec sa guitare, son synthé, des bruits d’oiseau et cette voix à la douceur tendue et pénétrante. Peu à peu Gisèle Pape déroule le fil de ses histoires à la façon d’une conteuse pour adultes consentants. Ces songes sont peuplés de personnages étranges, de corps, et de passion, ils disent les jours qui se lèvent, la chaleur qui quitte le lit quand l’autre s’absente. Quelque part entre Françoiz Breut et Emilie Simon. A suivre.
Un peu plus tard, Silvain Vanot prouvera qu’il n’a rien perdu de son talent malgré les années, les pauses, les tentations d’isolement. Marqué au fer rouge par son premier disque, j’attendais avec impatience ces retrouvailles avec celui dont le parcours chaotique et libre est parsemé d’albums rares et de morceaux singuliers. Devant une assemblée malheureusement un peu clairsemée, le chanteur délivre un superbe set, direct, intimiste, délicat mais perforé d’éclairs sombres et tendus. Sa voix caractéristique porte une poésie lucide qui fait mouche à chaque titre. Son écriture est d’une finesse toujours aussi implacable (écoutez les paroles de Je suis le carnet de route…). Le concert se termine par le sublime La vie qu’on aime. Les absents ont toujours tort. La soirée était vraiment belle.
Entre les deux, le choc inattendu. Si la beauté des chansons du premier EP des facteurs Chevaux est évidente, la force de leur interprétation en chair et en os est tout simplement bouleversante. C’est le choc de la beauté brute d’une musique qui serre le coeur et le corps. Une guitare, deux voix, un tabouret, deux ampoules. Sammy Decoster et Fabien Guidollet ne font pas dans la surenchère de moyens. Pas besoin tant les harmonies vocales semblent sortir directement des entrailles de la terre dans un maelström d’émotions brutes. Pas étonnant qu’ils cherchent refuge dans des églises ou des grottes pour aller y déposer leur musique quasi-mystique là où les ravages de la civilisation n’ont pas encore tout détruit. Il fallait que cela arrive ; après tant d’années à fâcher la nature, nous avons réveillé les esprits et les forces occultes. Passant de la beauté limpide d’un lever de soleil sur le Dôme des Écrins à la violence brûlante d’un volcan réveillé en sursaut et crachant sa lave brutalement, la musique des Facteurs Chevaux est saisissante au sens propre. Prenant le temps de nous envelopper, de nous caresser pour mieux nous brutaliser l’instant d’après, les deux chanteurs emportent tout dans une interprétation hantée de leurs contes singuliers. C’est beau à chialer. Dès les premiers accords de la beauté nue des Dames de pluie, on voit courir les ombres sur les murs et on se prend à craindre la mitraille. Le corps frissonnant, les membres peu à peu figés, je suis terrassé sur place et verserai donc une larme quand l’héroïque Valhalla prendra fin sous les coups assénés par Sammy Decoster à la scène de l’Olympic Café. Et étalés devant moi en vrac des lambeaux de chair, de la terre glaise, ma nudité, mon animalité, une route de montagne, tes forêts, nos rivières, des renards et des boyaux : c’est à la fois terre à terre et sur-naturel, fantastique. La dernière fois que j’ai ressenti quelque chose d’aussi fort c’était le premier spectacle de Sankai Juku. Cela dépasse le simple fait de composer, d’écrire, d’arranger, de chanter, de danser, de conter. Un genre de musique sacrée. Magnifique
© Matthieu Dufour
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