Chronique – Summer – Parler à tous ces gens (EP – 2001).

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L’été dernier, Summer me proposait d’écouter son dernier EP Laura Gemser. Je ne connaissais rien de ce groupe, le blog était balbutiant et le choc fut total. Renversé par la déflagration, je me jetai la tête la première et sans retenue dans la déjà fascinante discographie de ce groupe pas tout à fait comme les autres (Chronique Laura Gemser).

S’il est encore trop tôt pour parler de leur prochain album prévu pour octobre (ce n’est pourtant pas l’envie qui me manque de vous en faire écouter quelques extraits tant Hot Servitude est une bombe) il n’est peut-être pas trop tard pour évoquer leur premier EP, subitement apparu en téléchargement sur leur Bandcamp. En 2001, lorsque Parler à tous ces gens est sorti, Bandcamp, Facebook n’existaient pas, mais tout ce qui rend ce groupe passionnant à mes yeux était déjà présent. Ou presque. En action ou en omission.

Cette lucidité d’abord. Cet implacable regard qui permet de disséquer, croquer, peindre les travers de l’humain, de la société, des servitudes. Pas en jetant un regard hautain et méprisant sur ses semblables, pas en se contentant d’observer la triste marche des imbéciles, des imbus, des asservis. Non, en plongeant au fond de ses entrailles avec courage et obstination pour affronter les multiples vérités qui font mal à entendre, celles qui selon les codes du bien vivre ensemble ne sont jamais bonnes à dire : l’impossibilité de durer, de communiquer sincèrement, les masques, les travers. Bref le contraire de ce que l’on voit dans le miroir ou des histoires que l’on se raconte le soir pour mieux dormir.

Cette voix, celle de Jean Thooris, si singulière. Cette voix qui traine, bute, scande, découpe, sculpte, cette voix faussement pauseuse, faussement maniérée comme pour mieux accentuer le propos, accompagner les balles traçantes qui partent en rafale de sa bouche. Cette voix qui parfois éructe, semble dégueuler ce trop plein de pensées tour à tour sales, morbides, hallucinées, lucides. Une voix serpe.

Il y a ces mots. Enserrés dans une camisole sonique remplie de bruits, de crasse et de distorsions, de foutre et de sang, de dope et d’insomnies, les mots de Summer viennent rebondir sur les murs de ma boite crânienne qui se fissure sous les impacts. C’est une autopsie à vif, une plongée dans mes boyaux, une rencontre avec mes viscères. Very good tripes. Regarder en face de quoi je suis fait. Après, chacun fait ce qui lui plait, ou ce qu’il peut : came, alcool, sexe, jeux vidéos, enfants, travail, sieste, sport, chacun ses addictions pour supporter l’insupportable légèreté de nos êtres finalement peu préparés à l’insupportable dureté des relations humaines. Un voyage dans les moindres recoins obscurs de mon cerveau malade. Mais si humain.

Cette musique qui ne prend jamais la fuite devant les obstacles. Un rock fier et intègre, qui se relève quand il chute. Dense et léger à la fois. Jamais indigeste. Débarrassé de ses influences sans les renier. Parfois aventurier, parfois abrupt, souvent oppressant mais toujours gagnant. Le nouvel album est hautement addictif, mais le premier EP l’était déjà grâce à un sens de la mélodie qui vient tanguer avec la rudesse de la musique et le poids des mots.

6 titres dont quelques grenades dégoupillées et balancées dans la routine narcotique de nos quotidiens anesthésiés. Nous deux, ou comment disséquer au scalpel et à coups de riffs acérés la relation amoureuse et faire douter les plus purs d’entre nous. (« Et soudain apparaît nous deux, main dans la main et œillades complices nous deux, les oiseaux chantent pour nous deux (…) nous pouvons nous caresser nous deux, et plus si affinité nous deux ou moins si impossibilité nous deux ça y est tu flanches nous deux dominant à dominé y’a que nous deux, au matin il y a du sans sur les draps nous deux, tu disparais puis tu reviens nous deux »). 

Un mort, ou comment faire tomber les masques de la grande comédie familiale (« Un mort dans la famille c’est merveilleux, dire je t’aime à un corps froid, un mort dans la famille et tout le monde l’aime »). Au milieu, moment de fausse accalmie D3 et la voix douce et chuchotante de Joana Preiss. On se dit qu’il y a de l’espoir. Mais non. Crémaillère, Toujours je sais et Le ciel (son texte minimaliste porté par une mélodie imparable) viennent enfoncer le clou. Noir c’est noir, un point c’est tout.

Je ne suis pas certain que les Summer soient ravis de voir surgir une chronique sur un EP d’il y a 15 ans, qu’ils ne réécoutent probablement même pas, dont ils ne doivent voir que les défauts, les erreurs de jeunesse. J’ai toujours eu un faible pour les débuts, les premières œuvres, avec tout ce que cela peut comporter d’imperfections touchantes. Et puis forcément, dans tout ce qui précède il y a aussi un peu (beaucoup) de l’album à venir. J’ai écouté les deux disques en boucle tout l’été. Comme un raccourci de leur univers. Summer est un groupe qui m’est devenu essentiel. Et devrait l’être pour beaucoup plus de monde.


© Matthieu Dufour


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