Chronique – Ichliebelove – Wax & Wane.
Quelque part sur terre. Un soir, une nuit, une vie, peu importe le siècle. C’est avant la chute. Avant la descente. Un coup de chaud. Un club mythique bondé, une clairière abandonnée ou un hangar ressuscité. Des lumières épileptiques, des sourires extatiques. Des corps, des ombres, des proies qui se déplient, bondissent, chaloupent, se frôlent. Slow motion. Des bras levés si haut que cela paraît improbable. Illusion d’optique. Ces bras semblent pouvoir rester ainsi indéfiniment en suspension dans l’air moite de la nuit. Un groupe mixe avec talent et amour, une musique hybride, une électro jouissive parsemée d’éclairs rock et teintée de psychédélisme. La puissance mélodique d’une pop mutante à mille lieues des bourrineries habituelles. Parfois, l’un des deux vient même poser sa voix chaude et légèrement robotique sur quelques morceaux. Je me dis que cela ne pourra pas tenir longtemps. Trop de tension. Ça monte, ça monte, ça monte, puis tout s’arrête. Cris de désespoir, direct du coeur, sifflets inquiets, regards hagards, des bras tombent du ciel stroboscopé, des bouteilles d’eau chutent sur le dance floor glissant, les corps semblent vaciller l’espace d’un instant dans cette salle envahie par un noir poisseux. Ça reprend, ça monte, ça monte, ça monte. Puis tout s’arrête. Puis tout reprend. Les gens deviennent dingues. Littéralement. Puis tout recommence mais un ton en dessous, puis deux. Et ainsi de suite. Les boucles sont inéluctablement attirées par les entrailles de cette boîte où elles se laissent couler au ralenti. Alors malgré le gin, malgré la drogue, tout le monde comprend que la fête, cette fête incroyablement sensuelle et excitante va bientôt finir, que nous n’aurons peut-être même pas le temps de jouir. Mais tout le monde reste sur la piste pour profiter de cet instant jusqu’à la dernière goutte de sueur, jusqu’à la dernière seconde de ce trip à la limite du rêve collectif. Plus personne n’est vraiment conscient. Il y a des embrassades, des gestes tendres, les sourires sont figés. Ou peut-être n’est-ce qu’une hallucination. Plus personne ne sait vraiment où il se trouve. Nous sommes dans cet état d’entre-deux, de semi-conscience, cette frontière floue entre nos fantasmes et notre réalité. C’est bon. Inoubliable. Mais terminé.
« Le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier » disait Clémenceau. Philippe Raimond en semble convaincu. Pratiquant le coïtus interruptus musical à la perfection, icheliebelove nous place avec Wax & Wane sous pression permanente sans pour autant nous laisser nous échapper vulgairement à la première explosion venue. Comme dans un mix savamment conçu et brillamment exécuté, l’album nous entraine dans une succession sinueuse de montées entêtantes et de freinages plus ou moins brutaux. Déjouant les pièges de la facilité, combinant rigueur et plaisir, ichliebelove nous fait voyager pendant quelques intenses minutes sur les cimes d’un monde en bout de course, nous donnant l’impression de survoler la canopée d’une civilisation bientôt engloutie dans ses excès. Comme la bande son d’une fin de saison, de la fin d’une époque. Parvenant à conjuguer hédonisme sexy et introspection planante, Wax & Wane est l’un des disques les plus addictifs du moment. La tête et les jambes en quelque sorte.
© Matthieu Dufour
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