Chronique – Nezumi (& Fox) – ufocatcha.
Sortir de cette longue, bien trop longue léthargie, reprendre la plume, se dire qu’il faudra bien un jour ou l’autre convoquer à nouveau les mots pour parler de tous ces disques écoutés, de tous ces morceaux avalés, pas toujours digérés. Retrouver, à défaut de la flamme, une étincelle. Se mettre devant le clavier, la page blanche, laisser le hasard faire, jouer à la roulette, laisser venir quelques souvenirs de soirées à ressasser tout et n’importe quoi ou de journées filées trop vite, le casque vissé sur les oreilles pour s’épargner le brouhaha et la vacuité de ce monde en errance. Fermer les yeux et se souvenir des belles choses, des bouffées de bonheur éphémères, de cette première chanson du superbe disque de Nezumi (& Fox). Se souvenir d’y avoir plongé la tête la première, sans aucune appréhension, certain de s’y trouver en pays de connaissance (Monopsone, Stéphane Merveille, Erik Arnaud, le Japon, …).
Se rappeler de cette écoute un matin brumeux, pas envie d’aller travailler une fois de plus, full screen, et ce battement, légèrement martial, battement régulier qui épouse ceux d’un cœur en panne mais encore en vie, les battements dans les tempes d’une âme sous respiration artificielle, ceux d’une ville en éveil, la voix qui soudain convoque toutes les sirènes et autres ensorceleuses de ma jeunesse. Cette chanson belle comme une lettre d’amour, un départ au petit matin par l’escalier de service, le souvenir d’une rencontre aussi inattendue que forte, ce morceau prenant comme une étreinte amoureuse, mouvante, sinueuse, dont le nœud coulant se resserre peu à peu, le battement de cœur qui s’accélère au fur et à mesure que la ville se remplit, de gens, d’odeurs, de conversations. Malgré toutes ces énergies qui convergent, l’envie de rester encore seul un instant, calfeutré dans cette musique dont on pressent l’imminente explosion, dans ces nappes, ces entre-deux, ces mondes parallèles. Quand elle arrive se laisser cueillir sans hésitation, accélérer le pas, ouvrir enfin ses yeux mais continuer à voir les images défiler, s’imprimer sur un écran imaginaire. Se souvenir de la force des choses, avoir soudain envie de repartir à Tokyo, de regarder les images d’une émission de divertissement à la TV japonaise, un concert épique de Cure en fond sonore.
Chez Nezumi (& Fox), comme chez leur collègue de label AMOR (dont le génial album a été chroniqué ici-même : half sin half life), on retrouve ce goût pour la destruction de murs imbéciles à coups de battes de base-ball et de C-4, cette tendance naturelle à l’abolition de frontières, ce talent pour la pratique d’un genre d’esperanto musical. Comme chez ichliebelove (dont le non moins génial album a été chroniqué ici : wax & wane) cette tentation d’une danse à la fois libre et cérébrale, retenue et lâchée. Entre minimalisme dansant, post-rock planant, électro brûlante et cold-wave frissonnante, le duo de Rennes réussit le tour de force tout au long de ces 6 morceaux de composer un ensemble d’une modernité évidente, un tout dans lequel viennent s’entrechoquer, s’amalgamer, se fondre, quelques décennies d’obsessions et de bons goûts musicaux, sans que l’on aperçoive la moindre trace de couture. Alchimie sonique.
Alors il faut sans hésiter franchir les rideaux de guitares ou de sons saturés, passer quelques cascades glacées car derrière la raideur martiale et intransigeante il y a tous ces éclairs incandescents et d’hypnotiques mélodies, quelque chose de ces transes que l’on ne peut parfois apprécier qu’en étant seul au cœur de la foule, seul parmi les autres, en plein milieu de Shibuya ou sur la piste bondée d’un club Berlinois, quand en plein milieu d’une danse extatique on ressent l’irrésistible envie de ralentir, de basculer la tête en arrière, de lever les yeux au ciel imaginaire et regarder sa vie défiler au rythme d’une bande-son qui aurait été composée pour soi. Avant de mieux repartir. De rentrer dans la ronde avec une énergie folle.
Oui, ufocatcha était définitivement un bon choix pour renaitre à l’écriture sur la musique.
© Matthieu Dufour
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