Summer – Front wave.

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« …en été y’a rien à faire, sinon se démonter… »

Qu’écrire sur le dernier Summer, l’impressionnant, l’implacable Front Wave. Que dire sur ces 21 minutes d’un bloc intense, d’un fracas violent, ces 8 titres qui filent droit comme des balles méthodiquement lâchées par un tireur d’élite sans états d’âme. Qu’écrire qui n’a pas été déjà écrit sur l’intégrité quasi-maniaque de ces moines-soldats d’un genre bientôt disparu. Comment parler de ce boys band apocalyptique qui imagine et produit une telle musique, une œuvre qui semble devoir être engloutie par ce chaos qu’elle a elle-même créé. Une noirceur folle qui a vraisemblablement plus à voir avec les univers fantasmagoriques de quelques écrivains mystiques ou cinéastes francs-tireurs et hallucinés, que d’une scène musicale qui a depuis longtemps renoncé à poser un regard lucide sur le monde qui s’écroule autour d’elle. Front Wave. Ainsi donc le groupe mettrait enfin un nom sur un genre musical qu’il pratique avec brio et constance depuis une bonne quinzaine d’années déjà. Je ne sais pas. Ce qui est certain c’est que cette succession de mélopées bruitistes et d’instantanés parfois mélodieux, dessine les contours d’une esthétique sans pitié et annonce les effluves d’une chute inexorable. Peu de temps après un Matthieu Malon (Chronique – Matthieu Malon – Désamour) autopsiant brillamment le couple dans Désamour, Summer rajoute quelques clous sur le cercueil de plomb d’un monde en décrépitude. Sans concession mais sans apitoiement ni complaisance. Avec bruit mais sans fureur. Avec justesse et concision.

« …si j’avais un flingue contre qui m’en servirais-je… »

Tels des sculpteurs habités par une mission supérieure, une quête, les Summer donnent l’impression de travailler chacune de leur chanson comme s’il s’agissait d’un bloc dense, compact, d’une matière brute dont ils tenteraient d’extirper un sentiment, un souvenir, un fantasme, une émotion, une idée. Sans aucune garantie de succès. Sans aucune garantie de reconnaissance publique. Armés de lames acérées, de masses diverses et autres objets contondants, ils n’hésitent pas à frapper comme des sourds, à tailler dans le vif, à maltraiter la pierre, le métal. Tant pis si ça casse et qu’il faut jeter, tant pis s’il faut recommencer. Ils ne sont pas pressés. Ils ont leur propre agenda, leurs propres cycles. Cherchant à ne jamais reproduire la même figure, ils s’acharnent sur ces blocs de granit, sur ces grandes plaques de tôle, ils s’en donnent à cœur joie. Quand ça leur prend, ils balancent tout ça dans un haut-fourneau chauffé à noir, outils et matières, chairs et déchets, dans un fracas de cris et de lave. Jean Thooris se place alors en surplomb, jetant un coup d’œil amusé à ses congénères tentant de fuir l’autodafé en chouinant. Là, tout en haut du volcan, clope au bec et réfugié derrière ses lunettes noires, il assène les derniers coups de grâce comme on balance du sel sur les plaies ou de l’huile sur le bûcher des vanités. Ces coups ne sont pas des coups. Mais des mots. Des mots à peine chantés, des mots crachés avec la manière, avec la force implacable de la justesse, des mots délestés des oripeaux habituels de la complaisance, des mots que ceux qui se voilent la face auront du mal à entendre. À la fin, il ne doit rester que ce qui est indispensable. Pas de graisse, pas de chairs molles, pas de courbes inutiles, pas un mot de trop. Alors seulement ils passent à la pièce suivante. Sans joie ou satisfaction excessive. Ils s’y remettent. Simplement.

« …l’amour est une illusion pour les gens qui n’ont rien à rembourser… »

Pourquoi font-ils ça ? Probablement parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. C’est aussi simple. Peut-être qu’un jour, demain, dans dix ans, dans quinze, ils arrêteront. Parce qu’ils auront l’impression d’avoir tout dit. Tout montré. Comment tenir une telle tension sur la durée ? Avec leur force et leur intelligence habituelle, les Summer creusent la veine de cette musique faite de beats massifs, lourds, à bout de souffle, de guitares épileptiques qui semblent implorer leurs bourreaux d’arrêter enfin ces longues séances de torture quitte à se voir asséner un coup létal. Ils jouent avec leurs morceaux, les triturent, séparent la peau de la chair, la chair des os, ils les étirent brièvement avant de leur couper la chique brutalement. Ils jouent avec nos nerfs comme un chat sado-maso s’amuserait avec une pelote de fils barbelés. Expérimental. Aucune certitude quant aux effets secondaires. Un jour, il y aura un dernier inventaire, un dernier uppercut (© Matthieu Malon), un dernier tour de piste avant de passer à autre chose. De défricher d’autres territoires sonores. D’inventer autre chose. De s’emparer d’une nouvelle matière. D’ici-là, profitons de ce grand disque qui ne ressemble en rien à ce qui se présente à nos oreilles chaque semaine (heureusement) et attendons sereinement le suivant.

« …on n’a pas besoin de s’aimer pour s’apprécier… »

Chaque nouveau disque de Summer est une épreuve et une récompense, un plaisir vénéneux, coupant, un trip cathartique en eaux acides, un auto-exorcisme impitoyable, un plongeon en lave trouble, un shoot mémorable qui attaque un peu plus les quelques certitudes qu’il pouvait me rester. Leurs chansons métastasent inlassablement dans mon cerveau, gangrenant tranquillement mes derniers organes sains.  Play it again Summer.


© Matthieu Dufour


Le bandcamp de Summer

La playlist de Summer 

Chronique de Hot Servitude

Chronique de Parler à tous ces gens

Chronique de Laura Gemser

Interview de Jean Thooris