Chronique – Summer – Hot Servitude.

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FACE A

‘’…le monde peut bien s’effriter, les déchets peuvent encombrer les rues en friche, je marche silencieux, j’envisage ma descendance…’’ (jenifer)

La soirée s’est terminée comme tant d’autres. Tout le monde avait fait bonne figure et les apparences étaient préservées. Mais au final chacun était reparti de son côté jouer avec sa solitude et sa dépression. Même les couples : ceux qui étaient arrivés ensemble, paradant dans simulacre grotesque de réussite amoureuse (comme si dans l’assemblée quelqu’un y croyait encore), tout comme ceux qui s’étaient formés à la hâte autour d’un Mojito ou d’un joint bien entamé. Inutile de s’y attarder. Leur sort était scellé. Pourtant, ils étaient encore là à rire, commençant déjà à se mentir, à se trahir. Leurs éclats me parvenaient dans un écho déformé et brouillon. Comme si j’étais ailleurs. Ou dans un mauvais rêve. Je dois être dans mon inconscient.

‘’…joli karma pour des nuits sales…’’ (dévaluer)

La soirée avait tiré en longueur comme tant d’autres avant. Comme tant d’autres demain. On ne sait pas partir. On espère toujours qu’il va se passer un truc important, que cette magnifique fille va succomber, que ce beau gosse musclé va venir vous rouler une pelle. Cela n’arrive évidemment jamais. Un peu plus tard vous vous dites que si cette bombe anorexique vous propose un coup vite fait dans la cuisine de vos hôtes d’un soir vous serez partant. Même ce faux hispter défoncé à l’herbe et cette fille banale et ivre morte feraient l’affaire. Alors on fait le plein d’images plus ou moins honnêtes et on retourne se débrouiller avec sa copine, son mari et YouPorn. L’impossibilité de dire les choses, son désir authentique.

‘’…génération techno porno…donne moi la sensation de me faire baiser, comme si j’étais en visite au Comptoir des Cotonniers…aide moi à reconsidérer le porno comme du cinéma d’auteur jusqu’à écrire des lignes théoriques sur Tori Black ou Laura Gemser…en attendant qu’elle revienne encore…en attendant qu’elle revienne encore…’’ (Laura Gemser)

Dans le métro je mate avec insistance cette fille triste, les yeux perdus dans les traces de gras de la vitre de la rame de la ligne 13. J’ai toujours aimé ça, les filles tristes. Ce regard lourd prématurément vieilli, ce renoncement précoce, les traits du visage qui tombent, plombés par une espèce de fatalité, cette fragilité supposée, cette vulnérabilité espérée. Putain de prince charmant à la con. Putain de télé. Elle a les traits si réguliers qu’on dirait une photo d’artiste. Le dernier Summer dans les oreilles je m’imagine la réconfortant, lui expliquant qu’elle ne doit pas s’en faire, que nous sommes tous des salauds. Moi le premier. Si elle pouvait lire dans mes pensées, passer le mur du langage, elle n’y verrait que du gris anthracite, du sang et des excès, du stupre et une camisole chimique. La mort et les fantasmes.

‘’…tu peux t’isoler, rien n’effacera ton corps, tes yeux, ma rédemption…j’accepte de déambuler paisible, serein, au centre d’une ville qui jour après jour ne cesse de perdre la mémoire…peut-être demain les aveugles se souviendront-ils du souci des belles choses…’’ (vampire)

La fête est finie depuis bien longtemps, la lâcheté a gagné. Le capitalisme part en couilles mais il nous aura avant d’y passer, l’oppression est partout dans nos assiettes, dans la marchandisation des corps, même les plus jeunes. Comment tenir debout, complices de ce génocide silencieux, trouver refuge dans la chimie, les paradis artificiels, le sexe et autres addictions. La folie est probablement l’issue la plus raisonnable. Retourner en soi. En ça.


FACE B

‘’…trop de corps érotisés à observer, trop de corps à quémander…le souvenir de ses hanches qui se cambrent…’’ (dead girl junkie MILF)

Une quinzaine d’années déjà que Summer creuse son sillon à coup de cordes qui viennent lacérer nos âmes soumises comme des lames de rasoirs et de punchlines tranchantes comme un scalpel sous acides. A la façon d’un Friedkin ou d’un Ferrara, Jean Thooris et ses comparses (Louima et Baptiste) n’hésitent pas à jouer le malaise, l’excès, la violence verbale, ils n’hésitent pas à s’attaquer aux figures mythiques de notre belle société épanouie dans une sur-consommation exponentielle et une léthargie refuge d’un manque de sens : la famille, le couple, l’amour, … Avec une plume libre et une langue implacablement triturée, usant de l’ellipse ou au contraire des mots qui font mouche. Cet esprit un peu punk que l’on trouvait chez une Duras, femme libre et libérée s’il en était, qui savait avec style mais sans aucune complaisance démonter, décortiquer les rouages de la grande comédie du couple, de la séduction, de la possession et du sexe. Sans épargner ses propres travers car il ne s’agit pas ici de se poser en moralisateur ou en misanthrope détaché des problèmes de ce bas monde. Non au contraire, il s’agit bien de se mettre en première ligne : de fouiller ses propres entrailles, d’exposer ses cellules métastasées, d’afficher ses pensées intimes les moins recommandables pour tenter de toucher l’autre. Pour tenter de briser les carapaces, les barricades de mots qui ne veulent plus rien dire. Arrêter de se raconter des histoires, de se mentir à soir même. Le début d’une guérison improbable qui vaut toujours mieux que la triste apathie d’une mythomanie mortifère. 

‘’… Julie Z , un mari 3 enfants 2 amants…Delphine et Delphine…Chloé T s’envoie en l’air tous les soirs avec clairvoyance…Krista S en cloque heureuse…Delphine et Delphine, Delphine et Delphine …’’ (v33)

Summer fait bouger les ligne d’un rock et d’une chanson françaises engoncées dans des traditions d’un autre siècle : la maladresse touchante mais peu durable d’un lyrisme adolescent, l’ennui vénéneux d’une ode à la ruralité, ou l’inanité d’une poésie simpliste. Musicalement on retrouve dans ce nouvel album tout ce qui passionne chez Summer : la voix de sculpteur de Jean Thooris qui taille les phrases et les mots avec précision, alternant brutalité et classe folle, ce phrasé en apnée, en équilibre, du gros son, de la noirceur, de la saleté, de la crasse, des éclairs, des distorsions, mais aussi un véritable sens de la mélodie qui lui permet, en plus de nous faire saigner les oreilles, de nous régaler de plusieurs ‘’tubes’’ (dead girl junkie, une fille comme les autres, laura gemser) en moins de 30 minutes. Mais 30 minutes d’une densité assez incroyable car le groupe a décidé par moment de ralentir le tempo. De prendre son temps pour mieux nous retenir. Le ralenti leur va bien aussi.

‘’… s’en remettre à la médecine, quoi d’autre…admettre l’irrecevable : tu baises ailleurs en rire jaune deux mille euros dans les veines…c’est juste une fille comme les autres, enfin un peu moins bien que les autres…un peu trop volage…’’ (une fille comme les autres)

Hot Servitude est un album passionnant, fascinant, addictif, dérangeant, sur les pulsions refoulées, nos noirs désirs inconscients, les objets de nos fantasmes, un bad trip connecté dans les rues couvertes d’affiches publicitaires de nos inconscients urbains, un rock qui n’en fait qu’à sa tête, se fiche des modes et des règles.

Une claque.

Un grand disque.


Matthieu Dufour


Sortie le 15 octobre, disponible en téléchargement et en vinyle sur bandcamp.



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