Matthieu Malon – Désamour.

desamour-matthieu-malon-2017


Institut médico-légal

Salle 2M

20.10.17

Les clichés de Stéphane Merveille que les inspecteurs de la Brigade des Amours Cramées observent avec attention laissent peu de place au doute : la désintégration de cette relation amoureuse a été violente, sombre, douloureuse. Ce crime est probablement le fait d’esprits sincères mais torturés, passionnés, excessifs, emportés dans une lente folie destructrice. Mais le flou plane encore sur les circonstances exactes du décès, sur l’enchainement qui a conduit à ce massacre… Crime passionnel ? Préméditation ? Légitime défense ? Euthanasie ? Tant de questions sans réponses…

Heureusement, c’est le Docteur Malon qui est aux manettes de cette autopsie, un légiste pas comme les autres. Quand ses collègues aiment digresser, finasser, tourner autour du pot, cajoler, Malon va droit au but, sans crainte de déplaire. Là où ils prennent mille précautions verbales de peur de choquer, Malon ne prend pas de gants pour faire part aux hommes de la BAC de ses observations, de ses hypothèses, même les plus honteuses, les plus sordides. Une autopsie menée par le Docteur Malon, c’est la garantie d’un travail consciencieux, minutieux. Cash, lucide, il ne nous épargne rien de ses pensées les plus intimes, des détails qui parcourent son esprit vif au fur et à mesure qu’il incise, avec précision mais fermeté, le cadavre de cette relation sans vie. Lorsqu’il perce avec son scalpel aiguisé les secrets de ces chairs gonflées de souvenirs vénéneux, il échafaude à voix haute des scenarii, il tenter d’imaginer ce qui a pu conduire l’un des deux à porter le coup fatal, il paye de sa personne, essaye de remonter le cours de cette passion désormais sans vie, quitte à y laisser des plumes.

Des images plus ou moins nettes se présentent alors à nos yeux rougis par la fatigue, nous y sommes, avec lui, sur les scènes de ce crime conjugal, dans cet hôtel ou ce bar, nous sommes cet homme qui écoute les Cure, qui tente de reprendre pied, de ne pas sombrer, d’oublier la chaleur évanouie sur des écrans ou dans le sillage d’une autre. Peu à peu Matthieu Malon dresse en creux le portrait robot du couple, complices probables de ce gâchis. La préméditation est rapidement écartée, tout cela n’est peut-être rien d’autre qu’un banal crime du quotidien, comme il en voit passer tant d’autres. La jalousie, le manque de confiance, le poison qui s’installe jour après jour, goutte à goutte pervers, létal. Et cette putain de routine qui poursuit son dessin funeste : anéantir son jumeau diabolique, la passion des débuts. Combat à mort. Yin Yang criminel. Un jour pourtant il faut décider d’arrêter les frais, stopper les soins palliatifs.

Avec une franchise sans fard, Matthieu Malon peint le tableau de cette lente descente aux enfers amoureux, le ton est direct, le noir ne nous est pas épargné. Mais il surpasse tous ses collègues dans sa capacité à prendre en même temps la distance qu’il faut pour ne pas sombrer dans un sentimentalisme cheap, vulgaire, apitoyé, larmoyant. Il sait aussi respecter ce qui a été beau, vivant, il faut isoler les trouées de lumières de cette histoire, les espoirs partagés, les souvenirs des moments heureux, des rémissions fugaces. Pas question de s’égarer dans des analyses pseudo intellectuelles, de se perdre dans une mièvrerie indigne. Alors le Docteur Malon ne chipote pas. Jamais. Un cas d’école, un modèle de rigueur et d’exigence à montrer à tous les apprentis légistes de la planète indie, tous ceux qui pensent que l’on peut se passer de réflexion, de pratique, de travail, ceux qui croient que leur talent potentiel, une page Facebook et leur intuition suffiront.

Grand disque sans concession, d’une lucidité implacable, loin de l’égocentrisme démesuré de musiciens incapables d’empathie, désamour confirme s’il était besoin le talent singulier d’un auteur qui traque le superflu, d’un musicien en recherche permanente, jamais complètement satisfait. Une musique plus cinglante que jamais, au service d’un message universel et tellement contemporain. Malon réussit l’équilibre improbable entre l’exigence musicale d’un disque pour  les oreilles, et la force, la puissance d’un disque qui vrille les tripes.

Sur un thème archi banal, usé jusqu’à la corde sentimentale, Malon sonne la fin de la récré des snobs, des pleurnichards et des poètes de pacotille. Cette déflagration fera des victimes chez les prétentieux et les suffisants. D’une humilité absolue, Malon ne pontifie pas, ne donne pas de leçons, il propose juste des éléments de réponse, des clés, des pistes pour tenter de mieux comprendre. Le tout sur une musique électrifiée, impitoyable. Il sera compliqué d’écrire en français sur le décès d’une relation après ce disque.

Un disque à l’os et pourtant riche et dense, intense, qui sonne comme une fin de cycle.

Un album de sevrage.

Une leçon.


© Matthieu Dufour