Chronique – Pistes Noires (de préférence) – Hommage électronique-pop à Étienne Daho.

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L’exercice du Tribute est toujours casse-gueule. Parce qu’ils ne sont finalement pas si nombreux les artistes à posséder un répertoire riche, singulier et prêtant à la réinterprétation par des formations où des artistes venant d’univers différents, des artistes qui vont pouvoir y piocher des souvenirs personnels et y projeter des émotions intimes. Ensuite parce que s’attaquer à des totems, des icônes est évidemment risqué tant certaines de leurs chansons font partie de l’inconscient collectif. Daho est la cible idéale de ces aventuriers de la mélodie perdue : réussissant l’improbable grand écart entre popularité, reconnaissance de ses pairs et avant-gardisme, « l’ORennais » a toujours entretenu l’ambiguïté sur sa place dans nos vies. Très présent tant ses nombreux tubes sont immédiatement entrés dans notre quotidien et ont accompagné nos soirées, nos rencontres, nos ruptures, nos voyages, … et en même temps aux abonnés absents d’une forme de médiatisation impudique et voyeuriste, Daho n’a cessé lui-même de rendre hommage à ses idoles (Hardy, Blondie, Syd Barrett, …) et de remettre au goût du jour des références pop parfois oubliées. En parallèle, cette vigie pop souvent basée à Londres, ce voyageur à la curiosité insatiable a en permanence cherché à collaborer avec des talents en devenir (il a travaillé avec William Orbit avant Madonna…) ou mettre en avant les nouvelles générations (souvenons-nous de la soirée Tombés pour la France à la Cité de la musique l’année dernière). Ajoutez à cela un goût prononcé chez ce grand amateur de soul pour les sonorités électro et synth-pop (depuis le mythique Pop Satori jusqu’à l’album Eden, merveille injustement boudée par un public un peu déboussolé), un Tribute Daho par des groupes électro-pop était inévitable.

A l’heure où Daho sort une nouvelle compilation (L’homme qui marche le 6 novembre), le label Boredom a eu l’excellente idée de ressortir cette compilation Pistes Noires (de préférence), dont la première version était épuisée. Pas de faux suspense, c’est une vraie réussite. La première bonne idée est de proposer cette relecture à des groupes vraiment underground, évitant ainsi le piège du choc des références et des univers et poursuivant ainsi la tradition d’un Daho défricheur. La deuxième bonne idée est d’être aller piocher dans son large répertoire des titres qui n’ont pas tous été des hits. Ainsi le génial 4000 années d’horreur du Pop Satori (joyeusement hanté par Destillat), L’adorer (The Happiness Project, à la fois respectueux du propos orginel mais avec une distance et un entrain réjouissants), La ballade d’Edie S. que Lags transforme en rêve lancinant et brumeux, ou encore le merveilleux (Qui sera) demain mieux que moi (People Theatre réussissant une version martiale et minimaliste très juste). La palme revenant pour moi à Cyborgdrive pour son San Antonio de la Luna. Cette sublime chanson composée par Edith Fambuena et Jean-Louis Pierrot ana Les Valentins est passée à la moulinette espagnole et doit faire plaisir à l’amoureux d’Ibiza. Enfin, la majeure partie des groupes est parvenue à trouver une clé dans ces chansons mille fois entendues. Que ce soit dans le respect (délicate et jolie version de Ouverture par Foretaste, Les voyages immobiles délicieusement électro-dopés par Dekad) ou dans une impertinence bien dosée (Week-end à Rome par Neutral Lies, Paris Le Flore par Autoimmune ou encore Tourdeforce qui a eu la bonne idée de passer En surface en anglais pour en faire un tube international). Il était logique au détour de quelques chemins d’y croiser les ombres des fraternels Elli & jacno (Le Grand Sommeil par Celluloide entre autres). Globalement, et c’est une des grandes vertu de cette relecture électro-pop, tendance cold, tous font ressortir la grande mélancolie des morceaux de Daho que nous avons l’habitude d’entendre dans des versions originales plus sucrées, plus rondes. Mais un hommage est un hommage, et celui-ci a choisi la face plus obscure du chef de file de la pop française. On ne peut pas être fan de Genet, Warhol ou Bacon sans vivre et affronter ses démons. Quitte à les enrober dans des mélodies imparables. Quel que soit le bout par lequel on prenne cette compilation, qu’on soit fan, curieux ou simple amateur, est une franche réussite et l’occasion de faire de belles découvertes. C’est donc un « hommage » qui porte vraiment bien son nom, tant cette compilation souligne avant tout, s’il en était besoin, l’excellence des compositions de Daho, des chansons qui peuvent voyager, voir du pays et se travestir sans se trahir.


Matthieu Dufour


Disque disponible chez Boredomproduct.




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