Chronique – John Trap – Some People Swin (by Greg Bod).
Bêtement humain ,juste humain… Une des déclinaisons, une des infimes variations de ce que c’est que d’être humain, de se confronter aux autres, d’entrer en résonnance avec le monde.
Etre sensible, multitude éparse d’une identité, voilà à quoi je vous convie dans ces trois chroniques à venir.
Car un être est entier et plein, facettes à contre-jour, car la monochromie ne peut être complète, car il nous faut des chasseurs d’occasions comme disait Dubuffet.
Ces chasseurs d’occasion glissent dans ces fêlures entre les mots, qu’ils s’appellent Filip Chrétien, Pascal Bouaziz, Arman Méliès ou John Trap, ils sont la traduction de nos esquives.
Bêtement humain, juste humain… Fragile esquisse, méandre filandreux.
Parfois, les facettes peuvent être multiples, elles peuvent être belles comme des rencontres incongrues, comme l’esprit libertaire de l’enfant qui tâtonne.
Les collages faussement naïfs de John Trap n’en finissent pas de perturber les sens.
Au creux de la pochette et du livret de Some People Swim fait d’un bric à brac de textes et d’images étranges, il y a cette petite phrase au coin d’une page comme un résumé, comme un manifeste de la musique du morlaisien.
« I feel so deeply sad and it gives me so much pleasure. »
Jamais sombre mais jamais lumineux non plus, Some People Swim convoque les moments passés que l’on ne veut pas, que l’on ne peut voir se diluer dans d’autres espaces temps.
Ce n’est ni jamais triste, ni jamais gai. C’est plus du territoire de la neutralité qu’évoque le souvenir.
C’est le territoire de la confidence chuchotée, du murmure qui veut apaiser (It’s Not My Real Face).
Le ton peut devenir menaçant et prendre les accents d’un Lynch couplé à son Badalamenti fidèle période Twin Peaks Fire Walks With Me (« Let’s Jump In The Fire ») mais une inquiétude presqu’inoffensive, de celle des cartoons. Ces chutes sévères avec ces héros qui se relèvent toujours à la fin, ces pas dans le vide avant le vertige hilare.
Ce sont des comptines perturbées comme pour rassurer le petit enfant qui n’en finit pas de tenter de survivre sous nos carapaces en trompe l’œil d’adulte…
Il y a ces monstres des placards, les nôtres.
Ce monde de l’enfance, de l’émerveillement, du jeu avec les troubles, de la conjugaison des sentiments, du plaisir des virevoltes, de la douceur des regards avant les grands fracas, avant les pertes, avant les deuils, avant les morts qui nous hantent plus que les vivants.
Dans la répétition des mots, dans la litanie mécanique, il y a ce quelque chose noir de l’organique, du repoussoir, de l’expulsion de ce qui ne peut être gardé.
Quelque chose de l’ordre de la transe.
La musique de John Trap, c’est d’abord une rencontre incongrue avec l’étrange, le bizarre et le frémissant.
La rencontre peut prendre des traits concrets. Si au hasard de vos envies, vos pas vous mènent à l’Huelgoat, petit patelin planqué dans sa campagne finistérienne. Si vos pas vous mènent plus loin que la petite rivière qui glisse doucement dans le village… Si vos pas délaissent la petite épave qui prend l’eau dans le petit port…. Si vos mains ne parviennent à faire trembler la roche, si dans les cascades de la forêt, vous ne rencontrez pas le diable..
Alors, bredouille, reprenez la route… Au détour d’un virage, sur une petite route sinueuse quelque part entre nul part et Sizun, regardez bien sur les hauteurs.
Au milieu d’une petite clairière dégagée, vous y verrez une grosse pierre qui vous sourit.
Force tranquille, paisible et enfantine, lourde et pesante.
Légère comme un murmure, assumée comme un relief palpitant.
Rieuse comme un quotidien qui dérape
« Some People Swim » est sorti chez l’excellent label L’église de la petite folie.
Retrouvez également cette chronique en version audio
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